«A deux ans d'intervalle,
l'histoire recommençait, identique,
et, plantant la tente, allumant le réchaud et gonflant les matelas pneumatiques,
nous avions simplement l'impression de n'avoir jamais quitté ce pays...»

 

 

 

Julliard, 1955

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

TABLE DES MATIÈRES

COMMENTAIRE

EXTRAITS

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

Délaissant l'exploit sportif «à l'état pur» qui fut jusque là le but des voyages de l'équipe Marquette, Jean Raspail a voulu, dans ce nouveau livre, donner une étude documentée des Incas et des populations indiennes qui leur ont succédé dans la Cordillère des Andes. Visitant les étonnants vestiges de ce mystérieux empire anéanti au début du XVIe siècle, découvrant une tribu paria cachée sur des îles flottantes de roseaux, seul spectateur avec ses deux compagnons d'inoubliables fêtes indigènes, l'auteur s'est efforcé de faire revivre un passé fabuleux et de comprendre ce peuple millénaire. Relatant son entrevue avec le sorcier Francisco, ses conversation avec les pêcheurs aymaras, ses visites aux pierres cyclopéennes des Cités perdues, il mêle le présent et le passé en un récit passionnant, envoûtant, dont on ne peut s'arracher.

TABLE DES MATIERES

 

- I -

SOUVENIRS D'UN EMPIRE MORT

1. Où l'équipe Marquette commence à remonter le temps

2. Cuzco, capitale du Tahuantinsuyo

3. Francisco Pizarro, parcher, marquis, conquistador et assassin

- II -

SUR LES TRACES DE MANCO II LE RÉVOLTÉ

1. Sacsahuaman défie les Espagnols

2. La montagne et le petit train (Intermède)

3. Machu-Pichu, ville perdue dans le ciel

4. Les dernières vierges du soleil

- III -

INDIENS D'AUJOURD'HUI

1. Francisco le Sorcier

2. L'envoûtement des fêtes indiennes

3. Sédentaires et nomades

4. Emilio le Quitchoa

- IV -

LES HOMMES DU LAC

1. Titicaca, lac sacré

2. Visite au peuple maudit

3. Le Dieu muet de Tiahuanaco

 

COMMENTAIRE
Où le voyageur engendre l'écrivain...

Il suffit de parcourir le texte de présentation, en quatrième de couverture, pour aussitôt surprendre, au détour d'une phrase, le Jean Raspail que nous connaissons, le Jean Raspail de Qui se souvient des Hommes... «Découvrant une tribu paria cachée..., l'auteur s'est efforcé de faire revivre un passé fabuleux et de comprendre ce peuple millénaire»... Et puis ce qui frappe très vite, c'est la qualité d'écriture. On sent le désir de l'auteur d'aller ici au-delà du simple compte-rendu agrémenté d'anecdotes.

Bref, aucun doute n'est permis : La chrysalide qu'était encore, pour l'écrivain, Terre de feu-Alaska a donné naissance à un véritable auteur dont l'univers propre, original, commence à déployer ses vastes perspectives. On en voudra pour preuve la formidable évocation du défilé de la victoire de l'Inca, à laquelle se livre Jean Raspail dès le premier chapitre : «En regardant les vieilles dalles de la route d'empire, je me souvenais de cet événement mémorable comme si j'y avais été présent dans une autre vie...» (p.17)

Il est vrai que le sujet s'y prêtait, en attendant que la Terre de Feu, trop hâtivement parcourue, ne soit revisitée, le moment venu. Mais déjà, au cours du long voyage vers la Terre des Incas, le passage du détroit de Magellan, fut pour Jean Raspail l'occasion d'une rencontre essentielle, dont il dira plus tard qu'elle n'a jamais cessé de le hanter : celle d'une petite embarcation avec, à son bord, quelques-uns des derniers Alakalufs à l'histoire et au destin desquels Jean Raspail consacrera trente ans plus tard Qui se souvient des hommes...

L'un des thèmes majeurs de l'Oeuvre de Jean Raspail fait donc son entrée sur le devant de la scène, avec Terres et Peuples Incas : le thème de la trace et des ultimes vestiges vivants : «Ainsi, passant alternativement du présent au passé, du souvenir à la réalité, nous avons fait un bond en arrière de cinq siècles en traversant les Andes vers la vallée de Cuzco, capitale de l'Empire. [...] Tous ceux qui ont connu et aimé le Pérou, sa population attachante et son extraordinaire passé, comprendront qu'on ne parcourt pas ces montagnes où les vestiges, hommes et choses, curieusement présents, d'une époque révolue vous assaillent à chaque instant, sans être obligé d'appeler perpétuellement à son secours les souvenirs étonnants des siècles disparus.» (p.24)

En fait, le monde Inca s'offre à ce qui deviendra par la suite l'une des lignes directrices des ouvrages de Jean Raspail. Conquis, ravagé puis anéanti par un autre monde qui, outre la traîtrise et le cynisme effroyable de son porte-étendard, le porcher Francisco Pizzaro, lui était inférieur en termes de qualités spirituelles, culturelles, administratives, économiques (Raspail insiste à plusieurs reprises sur les «vices» de la conception coloniale des Espagnols), voire en termes de qualités architecturales, l'Empire Inca est demeuré, quant à ses origines et à son écriture, entouré de nombreux mystères qui semblent se prêter idéalement à engendrer cette forme particulière de Beau que Baudelaire définissait comme «quelque chose d'ardent et de triste, quelque chose d'un peu vague, laissant carrière à conjectures...» (in Fusées)

Car il en va du passé d'un peuple comme du passé d'un homme: là où le souvenir ne saurait remonter, faute de documents, l'imagination doit prendre le relais, comme Jean Raspail le soulignera des années plus tard, lorsqu'il notera à propos de son héros, dans Septentrion : «Kandall inventait, en homme qui a le souci des origines et qui, impuissant à renouer le fil cassé, maudit cette cassure et l'enjambe par l'imagination.»(p.80)

Or, c'est précisément dans ce hiatus entre les deux extrémités du «fil cassé» que l'œuvre romanesque de Jean Raspail s'établira à demeure par la suite, environné de récits de voyages qui en établiront les contours. Certes, dans Terres et Peuples Incas, le pas n'est pas encore franchi, nous ne sommes pas dans un roman, mais dans un récit - le récit d'un voyage plus temporel que spatial -; cependant, presque dans chaque chapitre, le talent du conteur est déjà là, comme nous l'avons signalé à propos de l'évocation du défilé de la victoire de l'Inca, ou comme cela apparaît ensuite, dans le récit de la "conquête" de l'Empire par Pizarro, ou bien encore, de manière magistrale, dans toute la seconde partie de l'ouvrage, intitulé Sur les traces de Manco II le Révolté, dans laquelle apparaît en outre le grand thème à venir de Jean Raspail : l'honneur et la beauté de défendre jusqu'au bout une cause perdue d'avance.

Enfin, dans la quatrième partie, Les hommes du lac, le Jean Raspail de La Hache des Steppes, de Qui se souvient des hommes..., ou de Pêcheurs de Lune, est déjà là, tout entier. Car cette quatrième et dernière partie du récit est essentiellement consacrée aux Urus, ce peuple au bord de l'abîme, dont il ne subsiste plus que des traces qui déjà se perdent et s'effacent dans une éternité qui n'est pas de ce monde. 

Et c'est sans doute ce qu'il y a de plus remarquable, dans Terre et Peuples Incas... Si Terre de Feu-Alaska était un vaste arpentage d'un des principaux "terrains de chasse" à venir de l'écrivain, avec Journal Peau Rouge, Les Peaux-Rouges aujourd'hui, Qui se souvient des hommes..., et enfin Adiós Tierra del Fuego, Terres et Peuples Incas constitue un arpentage spirituel des principaux thèmes que Jean Raspail développera et approfondira dans ses ouvrages à venir. Ce qu'il y a de frappant, du reste, dans terres et Peuples Incas, c'est cette sorte de concurrence à laquelle semble sans cesse se livrer l'imagination sur la réalité donnée. Ainsi, lors de l'ascension vers Machu-Pichu, ce n'est pas tant le moment présent qui captive l'esprit de l'auteur que les images reconstruites du passé qu'elle lui inspire... «Autour de moi, le chemin paraît se peupler. J'imagine de longue files de porteurs...» (Voir Extraits illustrés) - Comme si, en définitive, passé et présent formaient un tout unique, une mémoire dont le présent ne constitue que l'extrémité. Dans son hommage posthume à Jacques Perret, Jean Raspail ne manquera d'ailleurs pas de souligner qu'une des grandes qualités de l'auteur de L'Oiseau Rare consistait en «cette façon qu'il avait, qu'il a, qu'il aura toujours, qui est sa marque, inimitable et grandiose, de transiter d'une époque à l'autre, et de se balader de siècle en siècle avec tant de naturel qu'on jurait qu'il avait vécu deux mille ans.» (Voir Textes Divers & Entretiens)

©Philippe Hemsen

 

EXTRAITS

LA FORTERESSE DE SACSAHUAMAN

©Jean-François Ruiz-Cuevas

Sur un mamelon rocheux dominant de trois cents mètres la ville capitale de Cuzco, se dresse la stupéfiante forteresse de Sacsahuaman. Présentant la forme générale allongée d'un oppidum gaulois, elle est plantée comme le symbole de la force guerrière au centre d'un cirque de montagnes brunes dont certains sommets sont perdus dans les nuages ou couverts de neige. 3.700 mètres d'altitude : l'air y est froid, sec et râpeux comme une pierre ponce, mais le soleil des Incas ne cesse pas le jour d'y brûler comme le brasier d'un sacrifice...

Les ingénieurs indiens avaient soigneusement étudié la position stratégique de la citadelle. Un précipice vertigineux, tombant à l'est sur la ville de Cuzco, protège les deux côtés du rectangle; les deux autres sont cernés par une muraille extraordinaire, exact assemblage de pierres tellement gigantesques que le Cyclope lui-même n'aurait pu les soulever seul. 

Trois portes béantes s'ouvrent dans cette muraille comme des gorges profondes entre deux chaînes de montagnes. La principale donne sur une vaste esplanade propice aux grands déploiements de force, aux manœuvres de défense et aux cérémonies d'accueil de l'Inca ou des Hauts personnages de l'Empire. Les pierres qui l'encadrent sont des blocs d'une seule pièce, de trois mètres de côté, parfaitement joints les uns aux autres sans qu'il soit possible de glisser dans les intervalles même une lame de rasoir

[...] Conduisant au premier chemin de ronde, un vaste escalier en fer à cheval fait suite à la porte principale. Ses marches, trois fois plus hautes que larges, sont si raides qu'il devait être fort difficile aux assaillants de les escalader tout en combattant des adversaires disposant d'une position dominante. Le chemin de ronde est à l'échelle de la citadelle. J'ai calculé que vingt-cinq guerriers en armes pouvaient aisément s'y mouvoir de front. Abritées derrière leurs murailles gigantesques, les sentinelles de la première enceinte dominaient l'esplanade ouest d'une hauteur de huit mètres environ, hauteur parfois couverte par une unique et gigantesque pierre, et très souvent par deux seulement.

De cette position inviolable, les soldats de l'Inca devaient se sentir capables de défier le diable lui-même. Des bastions et des redans, presque aussi parfaits que ceux de Vauban, saillent de la muraille comme autant de proues formidables perçant le flot des ennemis.

Plongeant directement sur le chemin de ronde principal, une deuxième muraille haute de cinq mètres cerne la forteresse sur trois côtés, le quatrième étant occupé par le précipice de l'est. Cinquante pointes avancées de pierres cyclopéennes renouvellent le système des bastions et des redans de l'enceinte majeure. A la même époque, dans notre vieille Europe, aucun château féodal ne présentait une telle subtilité dans la conception défensive. Correspondant aux trois portes de l'esplanade, trois autres portes monumentales s'ouvrent dans la deuxième muraille et conduisent à un autre chemin de ronde par des passages tortueux et étroits aux dures marches de pierre. Sur ce chemin, huit guerriers en armes pouvaient marcher de front, et au sommet de chaque bastion, des observatoires fortement protégés abritaient les sentinelles de la deuxième ligne de défense.

Tandis qu'errant parmi ces formidables ruines, je tente d'évoquer le passé et d'animer ces murailles, trois Indiens nattés me croisent, en poncho multicolore et crasseux, et en culotte courte serrée juste au-dessous du genou. La bouche ouverte, levant la tête pour dégager leur regard de leur feutre miteux de compagnon de Robin des Bois, ils me dévisagent d'un air stupide. Je suis atterré : est-ce bien la même race qui, jadis, sous la férule de l'Inca Pachacutec, édifia au prix d'efforts inhumains, de sang et de souffrances, cet extraordinaire et déroutant ouvrage !

Photo extraite du livre de Jean Raspail

MACHU-PICHU

Au sortir du rude chemin en lacets qui escalade les cinq cents mètres de dénivellation du torrent à la ville, nous embrassons d'un seul regard la cité aérienne, perchée sur ses deux collines, et qui découpe la ligne des temples sur une ceinture de montagnes. Le cœur s'arrête quelques instants, saisi de respect, de crainte mystique et d'admiration. Jamais une émotion pareille ne m'a étreint comme le jour où j'ai vu Machu-Pichu pour la première fois!

Le site est sauvage, grandiose, cerné de tous côtés par une barrière imposante de sombres pics montagneux égayés par les reflets plus clairs d'une jungle dévorante. Dans les lointains du sud se dresse la masse blanche des neiges éternelles du massif du Salcantay. Au nord, lui faisant face, pointent des nuages d'autres pics de la Cordillère de Villcabamba, où Manco le révolté dirigea le maquis inca pendant près de dix ans. A huit cents mètres au-dessous des sommet du Machu-Pichu (en quitchoa : vieux sommet) et du Huayna-Pichu (=jeune sommet) qui encadrent la ville elle-même, roule le Vilcanota, grondant d'être ainsi prisonniers de gorges profondes. Ses eaux brunes bondissant par-dessus les rochers, il décrit une large courbe dont les deux boucles se rejoignent presque, et cerne le double promontoire rocheux où sont accrochées les villes forteresses de Machu-Pichu et de Huayna-Pichu. On leur a donné le nom des montagnes, faute de connaître leur nom véritable, perdu au cours des âges et ignoré des traditions locales.

 [...]

L'impression me tenaillait, en m'approchant de la porte, que le cœur de la ville battait hier encore et que ses habitants venaient de s'enfuir vers la montagne la nuit dernières.

Autour de moi, le chemin paraît se peupler. J'imagine de longues files de porteurs chargés de fagots, apportant le combustible aux foyers de leur clan. Un coureur chasqui, claquant les dalles du martèlement rapide de ses sandales de cuir de lama, crie de loin pour demander le passage. Plus haut sur la route, des porteurs d'eau, un grand récipient de terre cuite retenu sur le

dos par une lanière fixée en travers du front, s'écartent respectueusement devant la litière d'un noble fonctionnaire du royaume. De nombreux serviteurs précèdent et suivent ce grand personnage, et les six porteurs de sa litière sont richement vêtus de fines tuniques de laine d'alpaga.C'est ainsi qu'accompagné de ces ombres d'un autre monde, j'arrive à la porte de la ville...

[...]

Toute collectivité au monde possède ses Hauts-Lieux, sanctifiés par la religions, l'histoire ou la tradition. Machu-Pichu, ville de mystiques, en respectait au moins quatre : 

Le Temple du Soleil, l'Intihuatana, le Temple aux trois fenêtres et le Temple semi-circulaire, sans compter les pierres sacrées, les tombeaux et les petits temples des clans. Particulièrement soigné, bâti en granit fin poli avec art, le Temple du Soleil dresse trois murs intacts sur l'un des côtés de la Place Sacrée. Le Grand-Prêtre habitait le presbytère attenant d'où monte à flanc de précipice vers l'Intihuatana le plus solennel escalier de la cité. Inti : soleil; Huatana: lieu d'où l'on attache, ce qui pourrait se traduire en langage clair par: observatoire du soleil. 

Sur une plate-forme étayée par de petites terrasses, dominant de cinq cents mètres le torrent, un curieux autel taillé dans un seul bloc défie toute explication rationnelle. 

On a tenté d'assimiler les arêtes de cette pierre à des directions géographiques ou magnétiques. J'ai contrôlé avec mon compas, et cette hypothèse paraît un peu trop avancée...

[...]

Le «Temple aux trois fenêtres», de l'autre côté de la Place Sacrée, découpe sa muraille cyclopéenne sur le décor des montagne. Comme la forteresse de Sacsahuaman, il est bâti en blocs énormes parfaitement taillés et ajustés. Son origine est obscure, on peut supposer qu'il fut construit par les rois de Machu-Pichu en l'honneur de leurs ancêtres.

 

Pour plus ample information sur les Incas et leur Empire, nous vous invitons à visiter les sites suivants (il vous suffit de cliquer sur le point, à gauche, y accéder directement) :

SOUS LE SOLEIL DES INCAS

LES INCAS

MACHU PICHU

WEB MUSEUM DE L'EMPIRE INCA