«Hong-Kong est la seule,
la dernière ville chinoise qui
par ses mœurs et son aspect
appartienne à la tradition et découle naturellement du passé,
la seule ville qui ait échappé au feu et aux cendres de, la révolution.
...»

Connaissance du Monde, 1963

TABLE DES MATIÈRES

QUATRIÈME DE COUVERTURE

INTRODUCTION

LES PHOTOS D'ALIETTE RASPAIL

 

TABLE DES MATIÈRES

   
 

 

1. Introduction

2. Hong-Kong : le site, les origines, la ville moderne, la rade

3. La rue chinoise

4. Un Nouvel-An explosif

5. Les cités flottantes

6. La "chose" la plus laide du monde

7. Les Nouveaux-Territoires : village fortifiés, coutumes, souvenir des pirates

8. Le Rideau de Bambou

9. Macao, l'enfer endormi

10. Exodus chinois : le canal du risque, la jonque chassée

11. La colline des réfugiés

 
   

QUATRIÈME DE COUVERTURE

Depuis 1949, Jean Raspail parcourt le monde :

Avec trois amis formant l'Équipe Marquette, il relie en canoë Québec à la Nouvelle-Orléans, cinq mille kilomètres à la pagaie par les Grands Lacs et le Mississipi. Il fit trois fois naufrage et atteignit la Nouvelle-Orléans dix mois après son départ.

En 1951-52, toujours à la tête de l'Équipe Marquette, il réussit la première liaison automobile de la Terre de Feu à l'Alaska, expédition qui eut à l'époque un grand retentis sèment.

1954 est pour lui Tannée péruvienne. Il dirige une expédition cinématographique « A travers l'Empire des Incas », en particulier chez les Urus, tribu lacustre du Lac Titicaca, à 4000 mètres d'altitude, d'où il rapporte un film primé.

En 1957-58, il séjourne un an au Japon. D'explorateur, il devient romancier. Son roman « Le Vent des Pins », étude spirituelle des mœurs japonaises, est traduit en plusieurs langues.

Après une série de reportages en 1960 sur le Congo Belge en révolte, il part pour le Proche-Orient, auquel il consacre sa cinquième mission documentaire « Terres Saintes et Profanes ». L'hostilité entre Juifs et Arabes ne lui facilite pas la tâche.

Puis il publie son second roman « Les Veuves de Santiago », situé au Pérou dans un hacienda isolé, et s'embarque enfin pour Hong-Kong et Macao où il séjourne jusqu'en avril 1963. Membre de la « Société des Explorateurs », écrivain, journaliste et conférencier, Jean Raspail est Président du Club « Connaissance du Monde ».

INTRODUCTION

Sur Hong-Kong comme sur tout autre pays, la première impression est fausse, évidemment. Se tromper durant les trois premiers jours découle

d'une manie fort commune qu'on pourrait combattre de deux façons : d'abord se garder de juger, ce qui n'est pas conforme à la nature humaine, encore moins à celle du Français; ou bien patienter jusqu'au quatrième jour pour se former un jugement. Six mois seraient préférables, certes, et ce fut mon cas. Mais les visiteurs de passage à Hong-Kong prolongent rarement leur séjour au delà de soixante-douze heures, hommes d'affaires ou touristes dont le but est de vendre ou d'acheter, ou plus naturellement encore de bouger.

Hong-Kong en trois jours? Dressons le bilan classique. Excepté quelques chinoiseries touristiques comme la photo-souvenir du touriste en pousse-pousse; le dîner aux baguettes dans un restaurant chinois de façons occidentales, ni meilleur ni plus mauvais que ceux des Champs-Elysées; le costume en vingt-quatre heures, célébrité de Hong-Kong, qui ne tomberait correctement qu'au dixième essayage; l'entraîneuse aux yeux en amandes, aussi blasée que sa sœur de Pigalle; et une belle vue sur la mer et le port, quand on a les moyens de se l'offrir; excepté tout cela, que reste-t-il à la fin de ces trois jours?

Il reste les autobus rouges et les tramways d'Angleterre, à impériale; le cénotaphe de Whitehall « aux morts glorieux des deux guerres » reconstitué à Chater Road; le cricket-ground voisin où des boys joufflus, shorts aux rotules, disputent leurs matchs ésotériques au milieu des « aoh » du groupe fleuri des ladies; du gazon tendre entourant la statue d'un banquier en redingote; la sacro-sainte circulation à gauche; le sigle d'Elisabeth II Reine sur les fourgons et les boîtes aux lettres de la Royal-Mail; des golf-clubs, des officiers à casquette plate et stick, des Chinois qui parlent anglais et des biftecks immangeables. Une colonie anglaise, rien de plus, si fortement imprégnée d'influence britannique qu'on se demande, au soir du troisième jour, s'il fallait faire le tour du monde pour en arriver là, et si les Anglais que l'on voit sont en Chine, ou bien si les Chinois sont réellement chez eux. Voilà l'erreur.

Hong-Kong est en Chine, Hong-Kong est chinois. Il faut affirmer cette vérité première, non pour discuter les droits incontestables de Sa Majesté Britannique sur sa colonie de Hong-Kong, mais pour prévenir le visiteur curieux d'Extrême-Orient que les quatre millions de Chinois qui l'habitent représentent l'exacte image du monde chinois. « Comment ! Après tout ce que vous venez d'écrire sur les gazons et les ladies ! » L'erreur, vous dis-je ! Passez le cap du quatrième jour, perdez-vous dans les rues éloignées, cessez de suivre le guide... J'entends déjà l'objection : « Hong-Kong n'est pas la Chine, si chinois soit-il. Ce que vous affirmez n'a pas de sens '.Comment oser identifier un grand peuple en pleine transformation, de six cents millions d'individus, avec les isolés, émigrés, transfuges qui vivent ici à l'écart des leurs, sous la domination britannique ! Ces gens-là ont les yeux bridés, le teint jaune, certes, mais ils n'incarnent pas la Chine... »

Vous croyez? De quelle Chine parlez-vous? Celle qu'on voit défiler le 1er mai à Pékin, cette foule uniforme où l'on ne parvient même plus à distinguer l'homme de la femme, sagement groupée derrière les portraits de ses maîtres, piétinant en cadence sous des slogans de calicot? La Chine de l'austérité, de la grisaille collective, du nivellement par la base, soumise au labeur harassant et à la dure foi communiste? Une Chine albanaise, hongroise, ou nord-vietnamienne, à moins que ce ne soit un Nord-Vietnam, une Hongrie ou une Albanie chinoise? Il est vrai que Hong-Kong ne ressemble pas à cette Chine-là. La Chine communiste a vingt ans, la Chine traditionnelle deux mille, laquelle des deux incarne l'âme de la Chine? Par un accident de l'histoire, Hong-Kong a choisi la seconde. Il n'est pas certain que ce ne soit pas la vraie.

Mais les Anglais? Les ladies au cricket, les gentlemen bien élevés? Vous les remarquez le premier jour, justement parce qu'ils sont peu nombreux, et vous les oubliez. Mais les buildings à vingt étages, les banques aux nobles façades? Il suffit de voir les Chinois cracher dans les couloirs, se battre aux portes des ascenseurs et compter sur leurs bouliers pour constater qu'à l'intérieur d'une coquille neuve l'animal est intact. Hong-Kong est la seule, la dernière ville chinoise qui par ses mœurs et son aspect appartienne à la tradition et découle naturellement du passé, la seule ville qui ait échappé au feu et aux cendres de, la révolution. Joseph Kessel compare Hong-Kong à Pompéi, mais un Pompéi en pleine existence, vivant son invraisemblable sursis en un mouvement forcené.

Le vieux monde chinois y a trouvé refuge, mais ses qualités et ses défauts, ses enchantements et ses hideurs ont atteint une intensité, une exagération débridée qu'on ne trouve que chez les « fin de race ». On y découvre côte à côte des fortunes incalculables et des milliers de pauvres gens suant pour leur bol de riz; des industries aux bénéfices scandaleux et des ouvriers en guenilles; des patrons-mandarins qui ont troqué la robe de soie et les ongles démesurés pour la « Triumph » décapotable et le bungalow anglais, mais se tiennent les uns les autres selon les vieilles coutumes par un gigantesque réseau de pots de vin qui ne sont même plus malhonnêtes à force d'être réciproques, et la masse des humbles, fidèles et travailleurs, qui servent leurs fortunes; des femmes ravissantes, en nombre fantastique, élégantes, fines, gracieuses, mais si peu désintéressées qu'on hésite à les qualifier; des magasins bourrés jusqu'au plafond, des marchés de cocagne où passent en trébuchant des coolies épuisés, chargés comme des mulets, des tireurs de pousse-pousses efflanqués entre leurs brancards, des vieillards et des enfants qui semblent abandonnés.

L'indignation serait vaine. Le vieux monde chinois ne vit que de ces contradictions. Sans elles, il n'existe pas. Sans marchands abusifs, sans milliardaires, sans tyrans industriels, l'armée des pauvres gens glisserait d'un dénuement supportable — où chaque exploité peut conserver l'espoir d'exploiter à son tour — à la misère noire d'un troupeau laissé subitement à lui-même.

Un monde inhumain? Pas du tout. Pas plus en tous les cas que ce nivellement à l'échelle unique du bourgeron de travail et des six bols de riz pour tout le inonde, dans ce régime collectiviste où les élans du cœur sont éteints, puisqu'il n'y a même plus de riches à envier... ou haïr.

Hong-Kong, bien au contraire, est un monstre d'humanité.

LES PHOTOS D'ALIETTE RASPAIL