«Il faut avancer à pas prudents au royaume de Patagonie.
Sinon il s'efface comme un mirage ou vous engloutit dans ses sables mouvants.» 

 

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Robert Laffont, 1976

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

TABLE DES MATIÈRES

COMMENTAIRES

Extraits

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

Un petit garçon rêvait d'un royaume. Un roi - réellement, légitimement roi, mais de Patagonie -vivait seul, face à l'océan, dans un fort délabré de la côte du Ponant, attendant l'héritier qui recueillerait son rêve avec sa royauté. Il choisit l'enfant. Il lui fit partager les mirages de cette Terre de Feu où il n'avait peut-être jamais mis les pieds, mais qui était toute sa vie, son être même; il l'introduisit dans les mystères du royaume invisible qu'il portait en lui; il le fit roi...

C'est ce petit garçon devenu adulte qui nous raconte cette histoire, au lendemain de la mort d'Antoine IV, «roi de Patagonie par la grâce de Dieu et la volonté des Indiens de l'extrême sud du continent américain.» Une histoire qui a un fondement historique vérifiable par tous, mais que la passion et l'imagination de Jean Raspail ont élevée au rang des grandes aventures de l'esprit. Tandis que le monde, notre monde, s'agite au rythme inquiétant des grandes foules contemporaines, le vieil homme et l'enfant contemplent l'horizon marin; ils l'identifient à l'océan patagon hérissé de "furies" et aux archipels de la Terre de feu, porteurs d'un certain destin dont l'homme d'aujourd'hui a perdu les chemin. Là-bas, l'homme devient roi. Sa longue nuit s'illumine...

 

 

TABLE DES MATIERES

1. LES ENFANTS DU SIÈCLE

2. L'ANNIVERSAIRE

3. LE GÉNÉRAL DU SUD

4. LE TRAITÉ DE PAIX

5. LES PHOQUES

6. L'HYMNE

7. LA CHAPELLE

8. LA SALLE DU CONSEIL 

9. LA MALLE-CABINE

10. VOYAGES DU ROI

11. LE GRAAL

12. SÉGOLÈNE

13. DERNIER VOYAGE DU ROI

14. LE DAUPHIN 

COMMENTAIRES

- INVENTION DE LA PATAGONIE -

Le jeu du roi constitue une borne-frontière dans l'ensemble des œuvres de Jean Raspail, un peu plus de trois ans après son "adieu au monde". 

Car tandis que dans Le Camp des Saints, il n'y avait pas réellement de personnages de premier plan, l'essentiel de l'action s'organisant bien davantage autour de l'Événement, dans  Le Jeu du Roi, à l'inverse, peu ou prou d'actions : l'essentiel, ce sont les deux principaux personnages, voire les trois, si l'on inclut parmi eux la sublime Ségolène, le "monde", quant à lui, étant abandonné à lui-même,  refoulé au-delà de la frontière de la Patagonie.

«Je courus aussitôt à sa frontière, cette fois sans me cacher. S'il me saluait d'un "bonjour, compagnon!", ma foi, je lui répondrais! [...] On se souvient de la pancarte : propriété privée, défense d'enter. Elle avait été recouverte par une feuille de carton, fixée par quatre punaises. Sur la feuille, en lettres capitales au crayon-feutre, ces trois mots :

Royaume de Patagonie

Au pied du drapeau, avec ses jumelles, le roi m'observait.» (p.49)

On pourrait sans doute disserter longuement sur les multiples significations que revêt la Patagonie, dans l'univers romanesque de Jean Raspail; nous n'en retiendrons qu'une seule pour notre part, ici : celle qui est liée à l'écrivain lui-même, sachant que le narrateur du roman se présente d'emblée comme un instituteur obligé à l'écriture, comme on peut être l'obligé d'un hôte.

Et c'est bien du reste au titre d'hôte que Jean-Marie Ghislain Pénet nous conte son histoire; hôte d'un Autre qui, plus qu'il l'a ouvert à son rêve, a offert une formidable caisse de résonance, fort élaborée, au rêve de l'enfant venu à lui, un peu à la façon dont Richard Wagner accueillit d'antan, en son propre royaume, les rêves du roi Louis II de Bavière, bien davantage que celui-ci n'accueillit celui-là dans le sien.

Ici, cependant, c'est le roi qui accueille l'artiste à venir - ce que devient de fait le narrateur en couchant sur le papier son épopée -, parce que désormais le roi a transporté son royaume dans une forme d'éternité, en coupant tous les ponts derrière lui. Il a retenu la leçon de son illustre prédécesseur qui, réfugié en son château de Neuschwanstein, avait eu la faiblesse d'ouvrir finalement la porte à ceux-là même qui étaient venus là pour l'arrêter.

La Patagonie est donc mythe; autrement dit : monde de «l'idée à l'état pur», où le roi est pleinement roi en son royaume, sans compromis ni concessions, hors de toute réalité, quand bien même celle-ci ne serait que verbale.

«Notre force s'appelle : solitude. Le flambeau se transmet la nuit, au milieu du désert. Craignez vos semblables par-dessus tout. Restez muet. Sinon, ils vous détruiront.» (p.108)

Mais la Patagonie, c'est aussi le chemin initiatique par lequel un rêve d'enfant - un rêve enfantin - se transforme en tout autre chose: en un jeu de roi, qui est épopée; épopée non pas simplement imaginée, mais vécue, pleinement vécue du côté de la «face cachée» de l'homme. En ce sens, Le Jeu du Roi est la matrice de toute l'œuvre romanesque à venir de Jean Raspail: elle en délimite le territoire, en précise la géographie, en définit les rites, l'organisation, la thématique, la coloration... Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, cette nuit «au milieu du désert», au cœur de laquelle se transmet «le flambeau», sera désormais omniprésente, chez Raspail, autant dans Septentrion, que dans Les Yeux d'Irène, L'île Bleue, Sire ou bien encore L'Anneau du pêcheur.

Avec Le Jeu du Roi, Jean Raspail, comme romancier, s'est lui-même inventé, dans sa spécificité propre, à l'image de Jean-Marie Ghislain Pénet qui, plus encore qu'il ne rêve, «se rêve» (p.41). Non que les précédents ouvrages de Jean Raspail ne fussent ceux d'un écrivain accompli, mais ils prenaient davantage la mesure du monde, tel qu'il est aujourd'hui, qu'il ne l'inventait. Certes, la part romanesque n'y était pas absente; mais ils constituaient comme la pré-histoire du Jeu du roi et des romans qui vont suivre, un peu à la façon de la Patagonie bien réelle, socle pré-existant de la Patagonie mythique du «roi par la grâce de Dieu et la volonté des Indiens de l'extrême sud du continent américain». - Socle, à défaut de quoi, le rêve demeure celui d'un enfant, ce que saisit l'enfant lui-même, dès sa première rencontre avec le roi, après avoir noté, très significativement: «Ainsi, tout commença».

«Mes rêves changeaient de monture et galopaient sur les chevaux du roi. Ils sautaient par-dessus les mers et les siècles et croisaient de fantastiques cortèges avec lesquels nous échangions de longs saluts. Et puis tous ces mots clefs, jalons temporels marquant la chevauchée du roi : "Il y a dix ans, le cap Horn... L'an dernier, un vieil Indien Tehuelche...". La Patagonie existait. Le royaume était aussi de ce monde: le roi Antoine y était allé.» (p.65/66)

Le socle géographique inspiré du réel ainsi que le socle historique, sur lesquels s'édifient les univers romanesques de Jean Raspail, sont ce qui leur confèrent leur crédibilité, leur force mais aussi, en un certain sens, toute leur ambiguïté. Sait-on jamais, avec Jean Raspail, si l'on est dans l'Histoire ou dans la fiction, dans un lieu réel ou inventé? Ces référents forment comme la porte d'entrée dans chacun de ces univers, au point que, passé cette porte, on ne distingue plus très bien ce qui relève de l'imagination de ce qui relève de la réalité. Mais s'efforcer de faire la part des choses détruirait fatalement leur magie, comme nous en avertit le narrateur du Jeu du roi :

«Le général Otto von Pikkendorf n'a-t-il jamais existé? Je n'ai pas vérifié. On ne vérifie pas le rêve, sinon il meurt. Seule la nuit est habitée. L'épopée intérieur se brise dès la première tentative d'examen critique...» (p.101)

- A moins de s'inventer soi-même dans cet univers, comme ces jeunes gens dont Jean Raspail au début du Roi au-delà de la Mer nous dit qu'ils lui ont écrit pour lui raconter qu'ils s'étaient retrouvés dans la nuit du 3 au 4 février 1999 devant la cathédrale de Reims - date à laquelle, dans Sire, Pharamond de Bourbon se fait sacrer Roi... «...,c'est tout naturellement que nous sommes allés jusqu'au bout d'un de vos rêves...»

Et c'est peut-être à cela, précisément, que se reconnaît un grand artiste - peintre, cinéaste, écrivain... Ses œuvres nous forcent à modifier notre regard sur la réalité. Si l'on se découvre une passion pour Van Gogh, peut-on encore, après avoir contempler ses tableaux, regarder un champ de blé comme avant de l'avoir découvert? 

La Patagonie ne peut plus nous apparaître, après avoir lu Jean Raspail, comme une terre lointaine, vaguement située quelque part aux confins du continent américain. La Patagonie par le biais de Jean Raspail devient, plus qu'un symbole, un signe vivant de ralliement, territoire autre,  à la fois ici et ailleurs, ultime espérance (La Ultima Esperanza) de tous ceux pour qui la vie ne saurait se résumer au confort d'une mort lente.

Mais le Jeu du Roi est aussi jeu de et avec la mort, comme ultime salut d'une vie qui tourne à vide.

«La vie ne sert à rien. Elle ne peut plus être sacrifiée à rien. Ceux qui en souffrent s'inventent un royaume. Les autres se contentent de vivre. Qui s'invente un royaume se rapproche de sa propre mort. Les deux sont liés. Celui qui trouve le royaume trouve un sens à la mort. Au moins il meurt pour quelque chose et ce quelque chose, c'est la mort...»

A quoi, d'autres propos, d'un autre auteur, apportent un éclairage qui, d'une certaine façon, en dit long sur cette invention de la Patagonie, chez Jean Raspail :

«Écrire, c'est toujours exprimer ses dernières volontés. On n'écrit que devant la mort. Pour le reste, c'est la distraction, on vit. Mais cesser de considérer la mort, c'est accepter que la mort vous saisisse, au vif de la distraction. [...] L'écrivain est littéralement, non un mort-vivant, mais un vivant-mort qui, sous l'apparence de la mort au monde, perpétue l'apparence de la vie dans l'écrire.» (Jean Clair, Le Voyageur Égoïste, Paris, Payot & Rivages, 1999)

Ainsi, dans un monde qui s'est efforcé au cours de ces deux derniers siècles de nier l'existence Dieu, le pouvoir légitimé par Dieu et, de là, le sens transcendant de l'action, laissant l'Homme infiniment seul avec lui-même, avec sa propre petitesse, avec une vie qui d'elle-même s'écoule sans plus être - littéralement - prise en mains et animée par ce qui seul peut lui imprimer forme et direction, Jean Raspail pousse les choses jusqu'à leur plus extrême conséquence, en laissant à ses héros, seuls face à eux-mêmes, le soin de re-créer un autre monde. 

Est-ce à dire que, dans cet autre monde, Dieu participe également de l'humaine re-création? 

Pour une part, sans doute. Mais le mot qui importe ici, c'est précisément le mot «doute». Car le monde de Jean Raspail se construit dans l'entre-deux, entre imaginaire et réalité, un pied en appui ici (sur ces deux socles, historique et géographique, dont nous parlions précédemment); un pied là, dans le rêve. Or, dans cet entre-deux, tout est possible, tout est vrai, tout est faux; le rêve peut aussi bien devenir réalité que la réalité être transcendée par le rêve (voir à ce propos la "reconstruction" par Ségolène et Jean-Marie Ghislain de la géographie du Ponant selon celle de la Patagonie). - Par conséquent: Dieu est peut-être ma création, peut-être pas. Dans le doute, mieux vaut de toute façon faire comme si on y croyait. Ça force à une certaine «attitude»; et tout est là. Car - sait-on jamais? - la belle attitude à laquelle on se contraint jusqu'au bout peut faire en sorte, finalement, que le doute soit levé...

©Philippe Hemsen

 

EXTRAITS...

1. Ce que c'est qu'un enfant de treize ans...

Est-ce qu'on imagine encore aujourd'hui ce que c'est, un petit homme de treize ans ? Alors que déjà à cet âge, je ne trouvais autour de moi que des enfants sans foi, sans tripes, à l'image de leurs parents, le cœur aussi silencieux et inexpressif qu'une horloge dont on aurait arrêté le balancier. Je sais : quelque chose s'est détraqué, qui, dans le cœur des hommes, a stoppé le balancier. Lorsqu'ils se décideront à le remettre en marche, je crains qu'il ne soit trop tard... Mais qu'il battait fort, mon cœur, cet après-midi-là ! Il tonnait dans ma poitrine. Un battement de triomphe.

2. Le cimetière des lions de Patagonie

 Le mâle leva la tête et souffla. je vis ses yeux gris, las comme ceux d'un vieil homme. Le roi Antoine, l'année de sa mort, avait les yeux de son messager.

- Ils vont mourir ici, dit le roi. Mes lions de mer de Patagonie. Comme l'autre couple, l'an passé. Et les deux de l'année précédente. Depuis dix ans, ils meurent tous et de la même façon. Ils arrivent à marée basse et s'échouent sur cette plage. Quand la mer remonte, ils font un dernier effort et grimpent sur le rocher plat que vous voyez à droite et là, ils ne bougent plus. Une fois morts, leur corps se décompose. Par le vent du nord, cela sent très mauvais, jusque chez moi. La grande marée d'équinoxe vient net­toyer le rocher, mais quelquefois aussi rapporte des ossements blancs. En penchant un peu votre tête, vous les apercevrez.

Deux carcasses toutes blanches, alignées comme au cimetière et à demi enterrées dans le sable, la voûte de leurs côtes formant la pierre tombale. Le sable, les enfouissait peu à peu et puis la mer en rapportait d’autres, toujours au même endroit, celles des morts de l'année qui attendaient leur tour de l'eau, sous les rochers du fort.

Le cimetière de Ségolène...

Nos dix-huit ans à tous les deux. Je l'avais amenée à la tour du nord et elle avait longuement regardé par ce mâchicoulis, ses cheveux comme un rideau blond autour de sa tête penchée, si longuement que je lui avait demandé :  « Qu'est-ce que tu fais? Tu rêves ? » Bien sûr, elle rêvait. «Tais-toi, s’il te plaît ! Je compose une épitaphe. » Elle avait le goût de la mort et de ses  symboles. Mais pas de façon morbide. En rien amoureuse du néant. Et pas du tout désespérée. Les portes de la mort ouvraient pour elle sur l’éternité au lieu de se refermer sur la vie, C'est elle qui avait eu l'idée d'inhumer le général du Sud « pour lui donner la vie ». Puis elle s'était relevée. Les mains le long du corps, les yeux fermés, elle avait récité :

 « Ci-gisent

le prince des îles Wollaston, comte du Horn, duc des archipels de la glace, amiral des phoques du Sud et messager du roi, lion de mer du royaume de Patagonie

et la princesse lionne son épouse.

Dieu les conduisit de la Croix du sud à l'étoile Polaire sur la route des contresens.

Ils ne firent rien comme personne puisqu'ils moururent à l'envers, comme les hommes du Ponant, naguère, lorsqu'ils allaient mourir au cap Horn.

Ils n’avaient rien à faire par ici, pas plus que les marins là-bas, sinon trouver un sens à la vie.

Car il n’est pas nécessaire d’être un homme pour découvrir enfin, en mourant,

où se trouve la Patagonie.

 

3. Ce que c'est que la Patagonie...

Sur un Signe du roi, je m’étais en bout de table. On se souvient des conseils muets que je

tenais sous la tente avec les colonels de mon armée. Le fait qu’ils se déroulaient sans témoin les enfermait dans le domaine du rêve : si je cessais d'y penser, ils cessaient d'exister. Tandis qu'en me prenant pour témoin, le roi Antoine réussissait l’impossible : recevoir l'écho extérieur de son rêve. Qu'est-ce que c’est qu’un écho? L'apparence d’une réalité. J’étais l’écho. Il en existait d’autres, tout un clavier dont le roi jouait. La Patagonie, le royaume, c'est cela aussi : le rêve et les échos du rêve. Un va-et-vient qui peut n'avoir jamais de fin.

 

Fort La Latte, en Bretagne,
Le château qui servit de modèle à Jean Raspail
et où fut tournée une adaptation télévisuelle du
Jeu du Roi