« Ayant sollicité un ordre de mission du ministère de l'Instruction publique,
Jean de Liniers s'était entendu répondre
"que la Patagonie n'existait pas, que c'était un pays purement chimérique...".
»
 

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Albin Michel, mars 2001

QUATRIEME DE COUVERTURE

TABLE DES MATIERES

COMMENTAIRES

Extraits & Documents

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

Il y a cinquante ans, presque jour pour jour, naviguant sur le détroit de Magellan, j'ai vu apparaître un canot d'Indiens à travers un rideau de pluie. Deux hommes, trois femmes, un seul enfant, et les braises du feu dans un pot de terre : les derniers nomades de la mer, la fin d'un monde. Cette vision ne m'a plus quitté. Elle a déterminé mon existence. La Terre de Feu, le Patagonie, les extrêmes confins du cap Horn ont dès lors occupé mes pensées, emporté mon imagination jusqu'à devenir une seconde patrie où rien ne bride l'âme et le coeur. J'y suis retourné souvent.
  J'y ai suivi tant de pistes qu'elles ont fini par s'entrecroiser, formant le tissu de ce livre. Il y passe des voiliers mystérieux, des navires corsaires, des colonnes de soldats perdus, des missionnaires énigmatiques, des princes en fuite, des peuples disparus, des gentilshommes d'aventure, des survivants, des cavaliers... Un théâtre d'illusion où galopent les souvenirs du roi de Patagonie, Sa Majesté Orélie-Antoine - dont je suis le consul général - qui règne pour l'éternité.
  Ce Sud du Sud est mon pays. Nul ne pourra plus m'y rattraper. 

 

TABLE DES MATIERES

 

1. Où l'auteur reprend une piste qu'il avait quittée il y a quarante-huit ans. — Réception chez les seigneurs cavaliers. — Sans Gregorio, estancia fantôme. — Toute la Patagonie est à vendre. — Que sont les Tehuelches devenus ? — En route pour le sud du Sud

2. Salut de l'auteur au cap Froward, sur le détroit de Magellan. — Punta Arenas, 1951 : le bar des paumés du monde austral. — 1999: sur la route de Port Famine. — Qui a découvert le détroit de Magellan? — Les initiés de Nuremberg. — Sarmiento de Gamboa fonde la Ciudad del Rey Felipe. — Où la mort fauche l'orgueil espagnol et où la ville se peuple de fantômes. — Le chemin de croix du capitaine Andrès de Viedma. — Où les "singes sans poils" s'enhardissent. — L'agonie de Port Famine. — Une garnison de cadavres. — Le corsaire anglais Cavendish sauve le dernier survivant. — Un étrange monument national.

3. Où j'embarque sur le vieux Micalvi en 1951 et où je le retrouve cinquante ans plus tard transformé en bar du bout du monde. — A bord, en route vers la mer d'Otway. — Une navigation périlleuse. — "Indios!" crie la vigie. — Le dernier canot des Alakalufs. — Dix mille ans nous séparaient.

4. Les peuples nomades de Terre de Feu. — Où l'on fait la connaissance des "Indiens de canots" et où le commodore Byron, en 1741, se marie avec une sauvagesse. — Un voyage qui dure dix mille ans: du détroit de Béring au détroit de Magellan, les Alakalufs traversent l'Amérique. — Une métamorphose de mille ans: les Alakalufs quittent la terre pour la mer et s'enfoncent dans le labyrinthe. — Au rendez-vous des clans de l'île Charles. — Des dieux cruels. — Une nuit de campement en hiver. — Les Alakalufs se croient seuls au monde.

5. Coup de tonnerre dans la solitude: Magellan embouque le détroit. — Terreur et révérence des Alakalufs. — Le temps du mépris: Cook et Darwin. — Bougainville sauve l'honneur des Blancs. — Razzia de femmes et beuveries: les Alakalufs commencent à mourir. — Arrivée des grands paquebots: les Alakalufs donnés en spectacle. — Réception à bord de La Junon et danse avec les passagers. — Le temps du mépris (suite): M. Maurice, dompteur de "cannibales", exhibe quatre "sauvages" ç Paris. — Les derniers Alakalufs, clochards de la mer. — Où l'on retrouve le bienveillant Micalvi.

6. Puerto Eden : une solitude sidérale.  —  Le cimetière marin des Alakalufs.  — Où l'on salue Annette et José Emperaire, derniers amis des nomades de la mer.  —  Du vieux Micalvi à la Calypso.  —  Je débarque à Puerto Eden en 1994.  —   Le Mermoz, vaisseau du Roi et son commandant Francis Mosser.  —  Nous avons deux siècles de retard.  —  Le silence et les cadeaux.  —  Un retour mélancolique.

7. Les Yaghans de l'Extrême-Sud fuégien.  —  Premier voyage de la corvette Beagle.  —  Trois sauvages en Angleterre : ils sont reçus par le roi.  —  Les illusions du capitaine Fritz Roy.  —   Darwin embarque sur le Beagle avec les conséquences que l'on sait.  —  Fin burlesque de la mission Wulaïa.  —  Désarroi du Yaghan Jemmy Button.

8. Réapparitions à Vevey des mémoires du pasteur Williams.  —  Sainteté et bêtise : la Patagonian Missionary Society.  —  Désolation à Baie Banner et hostilité des Indiens.  —  Tragique odyssée de la mission Gardiner.  —  "Rendez-vous au Port-des-Espagnols".  —  Une macabre découverte.

9. La goélette Allen Gardiner appareille pour Wulaïa.  —  Où l'on retrouve Jemmy Button.  —  Le massacre du 6 novembre 1859.  —   Étrange mansuétude des pasteurs.  —  Retour de l'Allen Gardiner.  —  Transportation des Yaghans aux îles Falkland.  —  Ouverture de la mission d'Ushuaïa.  —  Le pasteur Bridges arrive trop tard.  —  Son combat contre l'inéluctable.  —  Il renonce et se retire à l'estancia Harberton.  —  Il y a un mystère Thomas Bridges.

10. Mon voyage à l'estancia Herberton.  —  Les lions de mer du phare des Éclaireurs.  —  Naufrages au canal Beagle et considérations sur les épaves: le cimetière marin du cap Tamar.  —  Puerto Almanza: la drôle de guerre de Terre de Feu.  —  Un lieutenant Drogo chilien.  —  Snack et salon de thé à Herberton.  —   Histoire d'une coquille de moule.  —   Le jardin est planté de lupins.

11. Mission scientifique de La Romanche en 1882. — Le commandant Martial et les Ya-ghans. — Réapparition en 1991 du matelot Charles Bouché. — Sa vie, son œuvre. — Où est éclaira le mystère des Indiens en tonneau du musée de l'Homme. — Poèmes de Charles Bouché. — Lettre à sa mère.

12. Obstination des missionnaires. — Les Indiens commencent à se métisser — L'île Baily, tombeau du pasteur Burleigh. — Mrs. Burleigh brode des phoques. — Transfert de la mission à Navarino — La Marine chilienne débarque. — Pèlerinage au cimetière des Yaghans. — Messages et offrandes mystérieuses.

13. Puerto Williams, base navale. —Joies australes de la vie de garnison. — Chez Kitty (ambiance familiale), entre Zidane et Pinochet. — No pasarân, les Argentins ! — Merci à la Marine chilienne. — Ukika, réserve indienne : Ursula et Christina. — En relisant l'odyssée de grand-mère Julia, recueillie par Anne Chapman. — Où le colonel des carabiniers salue les derniers Yaghans. — Le combat perdu du conservateur. — Un si réjouissant naufrage.

14. Où les Onas sont pris au piège. — Une race superbe. — Mgr Fagnano et ses salésiens. — Tempêtes d'or à Magellan. — Des colliers d'oreilles. —Julius Popper, dictateur de Terre de Feu. — Encore des colliers d'oreilles. — Mort des Onas à l'île Dawson. — Braun Menendez nie les massacres. — La dernière des Onas, Lola : une voix de dix mille ans. — Campement au lac Escondida en 1951. — Le lac Escondida aujourd'hui : tour-opérateurs et pédalos. — Pèlerinage à l'Indiecito du cimetière de Punta Arenas. — Dernier hommage à José Emperaire.

15. Les chevaliers de la pluie et le drame de Mayerling. — Où l'on fait la connaissance de l'archiduc Jean-Salvator — Une mystérieuse cassette. — Naufrage de Jean-Salvator au détroit de Magellan. — Sa réapparition sous le nom de Jean Orth. — Cavale solitaire en Patagonie. — Où l'explorateur Jean de Liniers croit y rencontrer Jean Orth et où je finis par perdre sa trace dans les caves de la Société de géographie. — Lionel Terray et Jean Delaborde prennent le relais. — Mlle Chris-tina von Falkenberg entre en scène. — Où l'on reparle de la mystérieuse cassette. —Je retrouve la piste à mon tour au bar du Cabo de Hornos. — Qui était et que cherchait Mlle von Falkenberg ? — Fin de piste à El Chaltén.

16. Retour au cimetière de Punta Arenas : le ténébreux capitaine Pagels. — La Kriegsmarine n'oublie pas ses morts. — Où apparaît en pleine bataille navale des Falkland (1914) un mystérieux trois-mâts blanc dont nul n'a plus jamais entendu parler. —Je rends visite au capitaine Lacroix, qui savait tout des grands voiliers. — Hommage au capitaine Louis Lacroix, et au prince Mario Rus-poli, mais je ne suis pas plus avancé. — Fin de piste au bar de l'Univers, à Saint-Malo, avec les derniers cap-horniers.

17. Le croiseur fugitif Dresden s'enfonce dans le labyrinthe. — Où le lecteur s'initie aux cartes marines d'autrefois. —J'ai navigué aussi par là-bas. — Le Dresden à Punta Arenas : il embarque secrètement le capitaine Pagels. — La flotte anglaise bloque les sorties du détroit de Magellan. — Pagels escamote le Dresden en terra incognita. — Témoignage de l'écrivain Saint-Loup, qui se cachait en Argentine, et comment il a connu Pagels. — Étrange dîner chez un mystérieux Suisse : Saint-Loup évoque le fantôme du Dresden. — Trois mois dans la désolation fuégienne. — Le Dresden, à bout de souffle, abandonne sa cachette. — Sa mort chez Robinson Crusoé.

18. Où la guerre de 39-45 nous ramène en Terre de Feu. — Second dîner avec Saint-Loup chez le mystérieux Helvétique. — Faut-il croire au Matin des Magiciens ? — Le capitaine Pagels à Berlin en 1944. — Sous-marins et voiliers de l'ordre Noir. — Qu'est devenu l'équipage du Falken ? — Où Alphonse de Châteaubriant vient s'intercaler dans cette histoire. — Un « maquis mystique » à l'île Santa Inès. — Doute final et conclusion de Saint-Loup-Marc Augier. — Qui fleurit à Punta Arenas la tombe du capitaine Pagels ?

19. Où l'on apprend que la Royale entretient d'excellentes relations avec la Patagonie. — Récit de l'amiral de Castelbajac, ancien commandant de la Jeanne-d'Arc en Terre de Feu. — Le président Georges Pompidou et son « cousin » Orélie-Antoine de Tounens, roi de Patagonie. — Les biographes de Sa Majesté : ambiguïtés et certitudes. — Je découvre les mémoires du roi, publiés en 1863. — Qui était, en réalité, Orélie-Antoine de Tounens ? — // est temps de frapper les trois coups.

20. Où je reçois de Tourtoirac (Dordogne) ma 443e carte postale. — Un petit garçon qui se rêvait roi. — Où l'on voit poindre un triste secret. — Innocent délire nobiliaire. — Me Antoine de Tounens, avoué, constitue à Périgueux le premier gouvernement royal araucan. — Le voilà prince, à Paris : il bat monnaie et prépare son départ. — «Mon cousin l'empereur Napoléon III». — Sa Majesté prend la mer au Havre. — Lacunes et imprécisions d'un très mystérieux voyage. — 17 et 20 novembre 1860, fondation du double royaume d'Araucanie et de Patagonie : deux époustouflants décrets. — Les ministres fantômes de Sa Majesté. — Mirobolants projets du roi : la presse en fait un roi de carnaval. — L'envers du rêve : le roi est seul et sans ressources. — Grandeur d'Antoine de Tounens : le roi de carnaval saute sur son cheval et part pour l'Araucanie.

21. Où Shakespeare et Pirandello se penchent sur le destin d'Antoine avec l'aide de Jean Anouilh et posent le décor de l'acte III : Sa Majesté va régner quinze jours. — Un gué sur le rio Bio-Bio. — Transfiguration du roi. — Le désastre de Canglo. — Où l'on voit Sa Majesté redresser la situation par le seul pouvoir du verbe. — Les Indiens crient « Vive le Roi ! » — Tous les caciques sont nommés ministres. — Le roi fixe sa capitale à Angol. —Je recherche sans succès à Angol le souvenir de Sa Majesté. — Surprenante dérobade du roi entre rêve et réalité. — Entrée en scène de Judas : Antoine trahi et arrêté. —La forteresse de Nacimiento.

22. Où l'on est surpris d'apprendre où et comment fut composé l'hymne national patagon par un Prussien de Nacimiento. — Sa Majesté au cachot. — Procès du roi : il chevauche ses chimères. — Sa Majesté perd ses cheveux, craint pour sa vie et rédige son testament. — M. de Cazotte, consul de France, intervient. — Querelle d'experts : le roi est-il fou ? — Rapatriement de Sa Majesté comme « passager à la ration » à bord du Duguay-Trouin. — Le roi fait comtes et barons les midships. — Fin de l'acte III à Brest le 6 mars 1863.

23. Où Shakespeare et Pirandello récidivent et plantent le décor de l'acte IV. Sa Majesté, en exil à Paris, écrit des centaines de lettres. — Words, words, words... — Sombrero noir et col de velours : le roi du boulevard des Capucines. — Une légation surréaliste. — Banqueroute et fuite à Londres. — Entrée en scène de Charles Gros et de la bande du Chat Noir. —Jeu cruel : une Majesté de dérision. — Nina de Villard chasse le roi qui décide de reconquérir son royaume.

24. Retour au théâtre et changement de décor. — Questions que l'on peut se poser sur le deuxième voyage du roi (1869-1871). — Version glorieuse de ce voyage publiée par La Couronne d'acier. — Rectifications biographiques : Antoine de Tounens prisonnier de ses « sujets ». — Un sublime tête-à-tête. — Soy el rey de Patagonia ! — « Le polichinelle français est revenu seul. » — Performance à cheval et fuite du roi. — Une mirobolante invention. — Le roi demande vingt mille volontaires pour s'en aller conquérir Berlin ! — Du danger de pousser le bouchon trop loin. — Piteux retour de Sa Majesté à Paris : elle annonce son impossible mariage. — L'ombre insaisissable d'une reine. — Où l'on dévoile enfin le secret qui pesa sur la destinée d'Antoine.

25. Les quatre décors de la transcendance. —Juillet 1876 : dernier voyage du roi. — // n'y a plus de royaume, les Indiens sont morts : M. de Tounens, enfin roi, est parti reconquérir le néant. — On le retrouve inanimé dans une rue de Buenos Aires. — Son rapatriement à Bordeaux. — Fin du rêve à Tourtoirac, là où il avait commencé. — Mort de M. de Tounens le 17 septembre 1878. — Ingratitude et absence des ducs et comtes patagons. — Où l'académicien André Maurois découvre en 1947 la tombe d'Antoine de Tounens. — Lendemain de Toussaint au cimetière de Tourtoirac. — Ultime vérité : la tombe de Sa Majesté est vide.

26. A Tourtoirac, les rejetons ne rêvent plus. — Vacance du trône. — Les barons patagons se réveillent en 1882. — Très sérieux Conseil du royaume. — Les « successeurs » d'Orélie-Antoine : deux souverains entre guillemets. — Mythomanes et bouffons. — Escartefigue, roi d'Araucanie : «Sa Majesté » Achille Ier. Bonnes et mauvaises plaisanteries. — Bonnes et mauvaises escroqueries. — Mort d'Achille et avènement d'Antoine IL — Une énigme : Antoine Gros, dernier roi d'Araucanie. — Fin finale de la « dynastie » en 1903. — Où l'on se pose des questions sur un très ambigu «prétendant». — Les surprises de Tourtoirac : « Retour des cendres » d'Achille Ier et fausse maison natale d'Orélie-Antoine. — Où le romancier se piège lui-même et devient consul de Patagonie.

27. Où le pavillon de Sa Majesté flotte sur la Provence, l'Himalaya, le Spitzberg, l'Amazone et en cent autres endroits du monde. L'armée française et la Patagonie. Hommage à André Frossard, notre vice-consul à Ravenne. Où l'on retrouve l'archipel fuégien quelque part entre Saint-Malo et Jersey, en territoire britannique. Une conséquence de la guerre des Malouines : la Patagonie envahit l'archipel des Minquiers et y fixe sa capitale : Port-Tounens. Un royaume englouti qui émerge au rythme des marées. Prise de possession de l'archipel par les fusiliers-marins pata-gons : ils s'emparent du drapeau britannique. Tempête médiatique en Grande-Bretagne. Où le consul général, magnanime, restitue leur drapeau aux Anglais. Rendez-vous à Port-Tounens en 2012.

 

COMMENTAIRES

- GRAND PANORAMIQUE -

Adiós, Tierra del Fuego est un peu à la Patagonie ce que Hurrah Zara! est aux Pikkendorff : une revisitation du thème qui prend des allures de récapitulatif. Le chapitre est-il clos pour autant? Voire.
    On sait la place centrale qu'occupe la Patagonie dans le monde raspailien : il en est l'un des paysages parmi les plus récurrents depuis Terre de feu-Alaska, le tout premier récit publié par Jean Raspail en 1952. C'est du reste par une évocation de pages écrites à l'époque que débute Adiós, Tierra del Fuego, comme pour souligner que le récit referme un cercle, en quelque sorte - «A l'abri dans ma voiture, je me plonge dans mon journal de bord, celui d'il y a quanrante-huit ans...» -, avant d'aboutir, quelques pages plus loin, au constat désabusé : « Ayant vécu là autrefois, ne fût-ce même que deux jours, y ayant connu ceux que j'ai dits, toutes ces ombres escamotées, n'étais-je en réalité pas devenu l'une d'entre elles, une infime fraction, moi aussi de ce monumento nacional oublié sur les bords du détroit de Magellan? Visitant San Gregorio, en somme, je me visitais moi-même...»

Retour sur ses propres pas, donc. Comme en écho à la devise des Pikkendorff : "Je suis d'abord mes propres pas." Moins quête de traces, cependant, que traces retracés. Retracée, ainsi, l'agonie des Alakalufs qui avait fait la substance du prodigieux roman Qui se souvient des hommes... Retracée aussi, l'aventure du notaire de Tourtoirac, autoproclamé Roi d'Araucanie et de Patagonie sous le nom d'Orélie-Antoine Ier, Don Quichotte des temps modernes et de l'imagination. Retracée l'épopée du Dresden, dont l'ombre hantait les récits de Frédérik de Pikkendorff dans Hurrah Zara!... Jean Raspail retrace à plaisir sa Patagonie dont on se demande parfois si elle n'est pas davantage imaginaire que réelle, tant il s'y croise d'ombres, de mystères à peine formulés, de souvenirs qui se confondent aux légendes...

Philippe Hemsen

EXTRAITS

- I -

L'Estancia San Gregorio

 

 


 

Estancia San Gregorio, janvier 1999, sur la route de Punta Arenas, au Chili, à la hauteur du deuxième goulet du détroit de Magellan.
   J’ai arrêté ma voiture au bord du chemin. Des nuages bas chargés de pluie courent en meutes sur le détroit, poussés par un vent violent qui soulève sur l’eau grise de méchantes vagues hachées. Quelques camions passent sur la route. Les bâtiments de l’estancia sont vides. Aux alentours, pas une âme. Que sont devenus les cavaliers qui peuplent encore ma mémoire ? L’endroit est aujourd’hui désert. Mais dans quelle autre vie suis-je déjà venu ici?
   A l’abri dans ma voiture, je me plonge dans mon journal de bord, celui d’il y a quarante-huit ans (équipe Marquette, expédition automobile Terre de Feu-Alaska).

A la date des 15 et 16 novembre 1951, il indique en effet que c’est là, dans cette estancia bien vivante, que mes cinq camarades et moi nous avons passé ces deux jours. L’hospitalité, en ce temps-là, était sacrée en Patagonie. Il existait une règle non écrite, mais connue de tous et respectée, selon laquelle tout voyageur qui se présentait avant le coucher du soleil au portail d’une estancia y recevait gîte et couvert, avec tout de même quelques variantes dues à ses titres et qualités, et aussi à l’humeur du maître des lieux, soit un lit et une invitation à dîner, soit une couchette pour dormir enroulé dans son poncho, du maté pour la bombija et un quartier de mouton grillé. Nul,jamais, n’était abandonné dehors, à condition d’arriver dans les délais.
   Nous avions été accueillis comme des princes, conduits à nos chambres par un domestique botté, réchauffés (nous étions transis et trempés), douchés (nous étions couverts de boue, ayant dû désembourber dix fois nos grosses Renault sur ce qui n’était à ce moment-là qu’une piste), abreuvés, nourris, reçus à dîner par l’intendant, une sorte de vice-roi en exil, servis par des valets en veste blanche, le pisco du soir dans de vastes fauteuils recouverts de peaux de guanaco autour de l’immense cheminée en parlant avec ce seigneur d’autrefois de Mermoz, de Guillaumet, de Saint-Exupéry, de Drieu La Rochelle, de Roger Caillois et de Victoria de Ocampo, puis baladés le lendemain à cheval, escortés par une troupe de gauchos digne d’un pronunciamento, tandis que les mécaniciens de l’estancia changeaient les ressorts cassés de nos voitures, qu’ils les vidangeaient, graissaient, décabossaient, purgeaient, alimentaient, et que notre linge ayant pris le chemin du lavadero (buanderie) réapparaissait le soir même en un alignement miraculeux, sur nos lits, impeccablement repassé, et le surlendemain, au matin de notre départ vers Punta Arenas en forme d’apothéose sous une pluie glacée tournant au grésil, salués au portail par vingt cavaliers, et par notre hôte, à cheval, botté de noir, éperons d’argent, chapeauté à l’espagnole, agitant lente ment son bras pour l’adios. Son cosas de Patagonia...

- II -

Le MICALVI

Ce petit navire était un personnage de roman. Je n’avais passé que trois jours à son bord, en 1951, mais ils ont été déterminants dans ma vie.
Ma grande surprise fut de le retrouver, un demi-siècle plus tard, échoué le long du rivage au fond d’une baie bien abritée du canal Beagle, machine démontée, mais toujours paré de son étonnante cheminée, une sorte de nez de Cyrano planté verticalement sur le pont, la passerelle et le carré des officiers ayant été transformés en un joli bar chaleureux à l’enseigne du yacht-club de Puerto Williams, el mas austral del mundo, où j’ai éclusé pas mal de verres en janvier 1999 avec des skippers suisses ou français, patrons de voiliers charters et grands rêveurs des confins fuégiens. Eux ne l’avaient pas connu à flot, mais la tendresse que nous éprouvions tous ensemble pour ce bateau reste un de mes meilleurs souvenirs, une célébration commune, fortement arrosée de pisco, accompagnant l’évocation rituelle d’autres chevaliers de la pluie que cet ancêtre avait autrefois embarqués, Francisco Coloane, Jean Delaborde, José et Annette Emperaire, dont je reparlerai, sans oublier Roger Caillois, qui fut académicien français, et qui a écrit sur la Patagonie des phrases inoubliables, dont celle-ci : «Je rends grâce à cette terre d’exagérer à tel point la part du ciel... »

Ce bateau s’appelait le Micalvi du nom d’un modeste quartier-maître de l’Armada nacional chilienne, héros de la guerre du Pacifique, celle de 1880 qui avait opposé le Chili à la Bolivie. [...]
Le Micalvi, avant de tutoyer le cap Horn, c’est sur le Rhin qu’il naviguait, battant pavillon de la Marine impériale allemande, aux alentours de 1913. Germanophile jusque dans ses sonneries de clairon et le boutonnage de ses uniformes, la Marine chilienne s’approvisionnait traditionnellement en Allemagne. Ayant passé une commande de munitions à la veille de la Première Guerre mondiale, Berlin lui expédia la marchandise à bord de ce brave bateau qui n’avait jamais vu la mer et se tira fort bien du voyage. Ensuite, la guerre ayant éclaté, et plutôt que de le voir coulé lors de sa traversée de retour par la flotte anglaise des Falkland, l’Amirauté impériale télégraphia avec un certain humour à sa petite filleule chilienne: « Emballage perdu. Gardez tout. » C’est ainsi que le Micalvi accéda au rang et fonction d’unique navire de guerre chilien des confins magellaniques, responsable d’une zone immense et encore à peu près inconnue. Il y exerça tous les métiers, ravitailleur de phares, mouilleur de bouées, poseur de balises, sauveteur d’Indiens, topographe et hydrographe, météorologue, postier, passeur, épicier ambulant, dispensateur de soins médicaux et parfois même de sacrements quand l’aumônier embarquait pour sa tournée annuelle, officier d’état civil enregistrant les décès, les naissances et les mariages, à la fois gendarme et juge de paix, ultime secours et dernier recours des petits pobladores isolés, éleveurs, bûcherons, chasseurs de phoques, chercheurs d’or, pêcheurs de crabes, qui tentaient de survivre au fond d’un fjord ou sur les pentes d’une vallée accessible par la seule voie maritime. L’apparition de sa drôle de cheminée sous la grêle ou sous la pluie, à l’île Hoste ou à l’île Wollaston, rendait courage pour un an au pauvre bougre condamné à la seule compagnie de ses moutons et pour lequel c’était l’unique occasion d’échanger quelques mots avec ses semblables. A ce régime-là, le Micalvi se fatigua vite, mais sa carcasse était solide et sa machine increvable. On bricolait, on repeignait par-dessus la rouille qu’on avait à peine le temps de piqueter, on faisait le plein de charbon et le saint-bernard du cap Horn repartait. Il y perdit peu à peu toute sa vaine fierté militaire. Pour faire de la place sur le pont, on avait démonté ses deux canons. La soute à munitions fut garnie de couchettes en bois où s’entassaient des familles entières s’en allant rejoindre leur papa berger, et d’autres qui, au contraire, revenaient, baissant les bras, exténuées, vaincues par la solitude...

- III -

Le DRESDEN

De l’escadre de l’amiral von Spee, au soir de la bataille des Falkland, ne restait donc à flot, et intact, que le croiseur léger Dresden, modeste bâtiment de trois mille cinq cents tonnes armé par un équipage d’une centaine d’hommes sous le
commandement du capitaine de frégate Lüdecke.

Sa situation n’était guère enviable L’Amirauté britannique — Winston Churchill, déjà !, étant premier lord de la mer — avait donné l’ordre de le retrouver et de le détruire. Il lui restait à peine une dizaine de jours de charbon et le cargo ravitailleur allemand avec lequel il avait rendez-vous à l’île Picton, entre l’île des Etats et le cap Horn, au sud de la Terre de Feu, avait disparu des ondes radio, sans doute arraisonné ou coulé. Un unique espoir, Punta Menas, port chilien neutre, sur le détroit de Magellan, mais un obstacle majeur et infranchissable, le cuirassé Inflexible flanqué de deux croiseurs anglais qui patrouillaient au cap des Vierges, à l’entrée atlantique du détroit. Une seule route demeurait ouverte, passer le cap Horn en direction de l’ouest et longer l’archipel fuégien, inexploré à cette époque-là, puis trouver l’entrée du canal Cockburn, à la hauteur du 55e parallèle, cachée derrière un labyrinthe de rochers et d’îles désertes et glacées, pour rejoindre enfin, par un autre canal tout aussi tortueux dénommé Magdalena, le détroit de Magellan, cette fois au sud de Punta Arenas. Une seule route libre, mais quelle route! A l’exception des canots des derniers Indiens Yaghans et des chaloupes de chasseurs de phoques, nul navire ne s’y aventurait.

J’ai eu l’occasion de naviguer in situ il y a quarante-cinq ans, en me référant aux cartes françaises du service hydrographique de la Marine dont on se servait encore ces années-là. Hormis quelques modifications apportées à des dates irrégulières, elles dataient de 1885, avec réimpression en 1917, et avaient été levées en 1882-1883 par les officiers de notre vieille connaissance l’aviso La Romanche, lors de sa mission dans les archipels du cap Horn. J’en possède un jeu complet, inestimable trésor aujourd’hui, dans sa typographie d’époque noir et blanc héritée du XVIIIe siècle, oeuvre d’imprimeurs gens de mer. C’est presque exactement sur ces cartes-là que le commandant Lüdecke traça son impossible route par un temps de plus en plus mauvais, au milieu des terreurs d’une navigation près d’une côte bordée de récifs que dissimulait une brume épaisse. J’ai cette carte (n° 5488) devant moi, sous les yeux. Une certaine partie de son dessin y figure en pointillé, c’est-à-dire qu’on n’est sûr de rien. Telles se présentent, notamment, les îles de la Desolación et de la Ultima Esperanza dont les noms évocateurs sont à la mesure de l’angoisse qu’inspirait autrefois au marin la découverte de cet univers. Pour embouquer le canal Cockburn à la faveur d’une éclaircie momentanée de la brume, le Dresden dut se glisser entre deux amas de rochers avancés, les Furies de l’Ouest et les Furies de l’Est, et laisser à bâbord une autre île hérissée de rocs menaçants et précisément baptisée île Furia. Aucune balise, aucun feu, seulement des alignements naturels incertains signalés avec des réserves appuyées par les Instructions nautiques Pourquoi voyager? disait Giono. Pour la mer, j'ai les Instructions nautiques, pour la montagne, quelques poèmes tibétains...»). Le balisage des canaux Cockburn et Magdalena ne sera entrepris par l’Armada Nacional chilienne qu’à partir des années soixante-dix et même à présent qu’il est achevé et récemment automatisé, l’autorité maritime chilienne n’en impose pas moins deux pilotes à bord des rares navires qui empruntent ce chemin. Je les ai observés à l’ouvrage, en 1999, sur la passerelle du vieux Mermoz, le dernier paquebot intelligent de croisière, lors de son voyage d’adieu. Les yeux vissés aux jumelles, aux écrans de radar, aux compas de visée, dans un silence tout juste rompu par les fréquents changements de cap qu’ils notifiaient au timonier, nul ne se serait avisé de leur parler ni de distraire en quoi que ce soit une attention de tous les instants. A un degré près on passait. A un degré de trop à droite ou à gauche on s’empalait sur un rocher. Une belle partie qu’ils jouaient là.

La chance servit le commandant Lüdecke. La chance et quelques fiches manuscrites qu’il consultait l’une après l’autre au fur et à mesure de la route, engoncé dans son ciré, debout dans le vent et le froid, sur l’aileron extérieur de sa passerelle. Ces fiches indiquant des alignements plus précis et plus fréquents que ceux des Instructions nautiques, il les tenait du capitaine Pagels, celui-là même qui se nicha plus tard, dans la mort, au cimetière de Punta Arenas, à la façon d’un chien fidèle, au pied du monument von Spee. Pagels avait expédié ces fiches à l’Amirauté allemande quelques mois avant le déclenchement de la guerre....

 

 

Site (en français), très complet et très bien documenté, consacré à l'épopée du Dresden

 

Le Globe terrestre de
MARTIN BEHAÏM

L'Onas du cimetière de
Punta Arenas