«On avait, paraît-il, sauvé toutes les princesses sans m'attendre.»
Jean Giono

« N'attendez rien des Indiens, vous ne serez jamais déçu.»
Vine Deloria
écrivain sioux (1973)

 

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Robert Laffont, 1975 / Guy Trédaniel, 1999

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

TABLE DES MATIERES

EXTRAIT - PREMIER CHAPITRE

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QUATRIEME DE COUVERTURE

Environ 1 200 000 Indiens peaux-rouges vivent aux Etats-Unis, soit autant que lors de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. En 1880, à la fin des guerres indiennes, on n'en comptait plus que 250 000, survivants plongés dans la misère. Depuis, des lois les protègent, des territoires leur sont réservés. Il leur faut maintenant aborder le monde moderne, sans perdre leur âme. Certains y parviennent, d'autres échouent. Car il n'y a pas de nation indienne, mais des tribus, chacune représentant un problème particulier, selon son passé, sa culture et son importance. Sur le territoire des Etats-Unis, 310 réserves indiennes, avec gouvernement tribal, sont autant de petits Etats autonomes. Les difficultés sociales et politiques ne manquent pas, la haine et l'amitié alternent, le mystère et le secret s'en mêlent, mais partout une extraordinaire aventure humaine : être Peau-Rouge dans le monde des Blancs. Jean Raspail a visité et étudié les réserves indiennes qui lui semblaient les plus représentatives, à chaque niveau d'adaptation. Les Cherokees, par exemple, tribu moderne, utilisent un ordinateur pour gérer leurs affaires. A l'opposé, les Pueblos et les Hopis s'enferment dans un traditionalisme inviolable. Les Meccosuckees ont pris le maquis en Floride. Les Navajos, forts de leur immense territoire et de leur puissante population, aspirent à devenir le 51e Etat des Etats-Unis, sans pour autant renoncer à leur vie libre dans le désert. Les Crows des plaines, en costumes blancs et coiffures de guerre, montés sur leurs magnifiques chevaux, sont une mémoire vivante. Les Sioux contestent durement. Les Osages, qui vivent du pétrole, dansent la danse de guerre chaque dimanche. Tandis que les Shinnecocks ont bien du mal à survivre à 60 kilomètres seulement de New York et que les Mohicans, totalement dilués dans la population du Connecticut, obéissent encore à un chef héréditaire...

Ce livre est rédigé sous la forme d'un journal. C'est-à-dire que l'auteur y livre spontanément ses réflexions et ses réactions. Elles sont parfois très vives. Il y a du meilleur et du pire chez le Peau-Rouge. Chez l'homme blanc aussi.

TABLE DES MATIERES

  Index des tribus citées

1. Whitemen, big shitters

2. Les descendants des enfileurs de perles

3. La guerre des Onondagas

4. Les tribus du silence

5. Les plumes des Indiens sans plumes

6. Oklahoma home

7. Les émirs dansent la danse de guerre, le dimanche

8. Taos, la haine, le mystère et l'argent

9. Le cinquante et unième Etat des Etats-Unis d'Amérique

10. L'eau de feu

11. Les Crows, ou la sagesse

 

EXTRAITS

1er chapitre - Whitemen, big shitters

Octobre 1974

Venu le moment de rédiger ce journal, à partir de mes notes de voyage, le mot libre (libres voyages, sous-titre de ce livre) me paraît demander une explication. J'irai jusqu'à la confession, ou l'aveu. On ne saurait se montrer trop clair lorsqu'il s'agit d'aborder quelque chose d'aussi simple et d'aussi enchevêtré à la fois que la survie de la race indienne aux Etats-Unis d'Amérique en 1974.

Libre, l'ai-je été ? Ma peau blanche, cette fois, ne m'y a pas aidé. « Whitemen, big shitters ! » m'a dit un jour au pueblo de Taos, dans l'Etat du Nouveau-Mexique, un des chefs religieux du village, que je tentais de questionner. Ce n'était pas un compliment. Traduction en bon français : « Hommes blancs, tous des emmerdeurs ! » II faut préciser qu'en anglais, surtout en américain, le mot shitter pèse un poids de grossièreté, de mépris, de haine et de violence verbale qu'il est loin d'égaler en français. Je lui avais répondu du tac au tac qu'il en était un autre, précisément parce que l'ayant abordé en homme libre de préjugés, il me jetait à la figure la couleur de ma peau.

Je n'ai donc jamais pu oublier ma peau blanche. Aucun Indien ne m'y a aidé, à une vingtaine d'exceptions près. C'est pourquoi j'ai dédié ce livre à la princesse Nowadonah. Son accueil et son souvenir, au premier jour de mon voyage, m'ont aidé à surmonter l'isolement dans ma peau où les Indiens m'ont enfermé pendant quatre mois. Je me sens très à l'aise dans ma peau blanche, là n'est pas la question. S'il y a culpabilité collective à l'égard des Peaux-Rouges, qu'elle retombe sur la tête des Américains ! Je ne suis pas responsable des malheurs de cette race. Je n'ai pas de sang sur les mains par ancêtres interposés, sauf peut-être en Louisiane, mais ces Français-là étaient déjà Canadiens. Je n'ai pas déserté le vieux continent, moi ! pour m'installer sur les terres des Indiens. Mais les Indiens ne l'entendent pas de cette oreille. Ils fourrent tous les Blancs dans le même sac. Je n'ai donc pas toujours été bien reçu. On ne m'a pas jeté de pierre, on m'a rarement menacé. J'ai visité sans histoires de nombreuses réserves indiennes, mais bien peu avec le sentiment d'être à l'aise, et on a peu ouvert les portes de la maison à l'ami que j'étais, que je demeure. Combien de fois me suis-je répété, pour ne pas céder à la rancune : « Princesse Nowadonah ! aidez-moi ! » Un mur opaque et transparent, fait d'une indifférence glacée qui me semble la forme d'hostilité la plus subtile, enveloppe beaucoup de communautés indiennes. Savez-vous comme il est à la fois douloureux et suprêmement horripilant de marcher vers un de ses semblables et de se heurter durement de la tête et du corps à la porte en glace transparente qui vous en séparait et qu'on n'avait pas vue ? Tant pis. Sur le pas des portes, cependant, on m'a beaucoup parlé. J'ai parlé. Et lorsqu'il y avait des silences, ceux qui m'ont ouvert en amis les ont largement éclairés.

Que les Indiens aient mille motifs à se méfier des Blancs, c'est l'évidence. J'y reviendrai souvent. Honnêtement, on ne peut échapper au leitmotiv. Les pressions de toute sorte dont le passé et le présent n'ont cessé et ne cessent de les accabler, expliquent largement leur comportement. Ils savent d'où ils viennent, ce qu'ils ont perdu. A la question majeure que leur pose leur identité dans le monde moderne américain, il y a presque autant de réponses que d'Indiens. Mais toutes exprimées en distances par rapport au Blanc. De quoi agiter en tempête la surface visible et le secret des cœurs. L'échelle de ces distances est démesurément étirée. De l'assimilation — le plus souvent par le mélange des sangs — au refus catégorique militant, il y a mille nuances intermédiaires d'où le « modèle » blanc n'est jamais absent. Voilà pourquoi les Indiens vous font rarement grâce de la couleur de votre peau. Si bien qu'il est fréquent de rencontrer des Indiens blancs, parfaitement intégrés, dont le seizième où le trente-deuxième de sang peau-rouge s'est perdu depuis des générations et qui vous déclarent : « Je suis fier d'être un Indien ! » Sous-entendu : plus fier que d'être Blanc. Cela force l'estime, évidemment. Voilà pourquoi j'ai trouvé, je le confesse, des entraves à ma liberté de jugement. Fallait-il forcer la note pour oublier que je suis Blanc, ou, au contraire, me draper orgueilleusement dans ma blancheur ? Difficile d'être naturel, en parlant des Indiens ! Je ferai de mon mieux.

Je portais un autre handicap : celui d'être écrivain et de vouloir écrire un livre sur les Indiens. Handicap plus lourd que celui de ma peau. Il existe, aux Etats-Unis, une énorme littérature consacrée aux Indiens, dans toutes les disciplines. Ce torrent de papier imprimé s'est encore gonflé, ces dernières années, de toutes les crues boueuses de la pensée occidentale contemporaine. L'écrivain américain moderne a fabriqué un piédestal, il y a hissé l'Indien, et puis il le regarde d'en bas en se roulant dans la cendre. Il bat sa coulpe à se défoncer la poitrine, se couvre de pipi et proclame que nous avons tout à apprendre de l'Indien, et d'abord le sens de la vie. La fabrication des paniers, le rite du calumet ou le respect des montagnes sacrées deviennent autant de messages que l'affreux Blanc matérialiste se doit de recueillir pieusement des mains de l'Indien sage. Les chantres de l'indianité se sont abattus sur les réserves indiennes comme des nuées de corbeaux. Cela énerve considérablement l'Indien, qui crie, non sans raison, au vol culturel à grande échelle. Car tous ces écrivains-là sont Blancs. Les universités, l'été, les dégorgent par milliers. Vine Deloria, qui est un des rares écrivains indiens, avec le merveilleux humour qui caractérise sa race, assure qu'il était plus facile à son peuple de combattre la cavalerie yankee que l'armée des ethnologues. Et il ajoute : « Un guerrier tué au combat peut toujours gagner les Heureux Terrains de Chasse. Mais où se rendra un Indien étendu pour le compte par un anthropologue ? A la bibliothèque ? »

Aussi l'écrivain aventuré chez les Indiens, en 1974, voit-il ses possibilités d'enquête et sa liberté de manœuvre passablement diminuées par la pléthore de ses devanciers. Il est obligé de procéder par ruse, de cacher sa profession, de mentir sur les motifs de son voyage, tout au moins dans les tribus les plus traditionalistes. L'Indien ne s'intéresse plus du tout au visiteur qui s'intéresse trop à lui, et lui tourne le dos, ou bien l'oublie sur place. Mésaventure qui m'arriva plusieurs fois. On se sent réellement tout bête. On se demande ce qu'on fait là. J'avais été recommandé chaudement, par un ami commun, à un autre Indien de Taos, du nom d'Adams Trujillo, danseur sacré et ancien président du Conseil tribal. J'attendais beaucoup de cette entrevue. Je le trouvais dans son jardin. Il avait deux nattes sur les épaules et une très belle tête comme un masque de bois brun. Au nom de notre ami commun, il me tendit la main, si bien que, mis en confiance, j'avouai mon métier d'écrivain. Patatras ! « Dans ce cas », me dit-il, « je ne veux pas parler, je ne dirai rien du tout, je n'ai plus le temps de vous recevoir. » II ne souriait plus du tout. Je tentai de sauver mon chapitre sur Taos, maladroitement : « Comprenez-moi, je ne suis pas n'importe quel touriste. J'écris un livre sur les Indiens américains, pour les lecteurs français. Je cherche à comprendre... » Et lui : « Justement ! Si je parle, ce que je dirai sera dans votre livre. Et cela, je ne le veux pas. » A ses yeux, j'étais devenu moi aussi un voleur. Pas un mot pour prendre congé. Pas un au revoir. Rien du tout. Je restais planté là, en face de lui, cherchant le moyen de décrocher poliment. Lui ne me voyait même plus. Il m'avait effacé. Un autre jour, en Oklahoma, à un fermier de la tribu des Caddos, beaucoup mieux disposé, j'expliquais un peu naïvement : « je cherche à comprendre ce que c'est, un Indien aux Etats-Unis en 1974 ». Et de m'entendre répondre : « Indien ? Je ne sais pas. Je l'ai toujours été... » Rideau.

Il me reste quelque chose de très bête à avouer. De tout à fait enfantin. Au quatrième mois de mon voyage, après avoir visité plus de trente tribus toutes entrées dans le monde moderne à trois exceptions près, je ne parvenais toujours pas à rencontrer un Indien sans ouvrir des yeux d'enfant. Ou d'amateur de western. Comme si le voir conduire son auto, entrer dans sa maison, faire ses achats au supermarché, me recevoir dans son bureau, me servir au restaurant ou à la pompe à essence, porter des vêtements semblables aux miens, parler anglais, jouer au base-bail ou n'importe quoi du même genre, ne pouvait être qu'un accident, un comportement tout à fait anachronique, et qu'il allait aussitôt interrompre ces excentricités, se couvrir de plumes et sauter sur son cheval. Il y a des femmes qu'on déshabille en pensée, malgré soi et quoi qu'on fasse contre cette habitude. Les Indiens, avec le même entêtement, c'est en Peaux-Rouges qu'on les habille, tomahawk, mocassins et tout le tremblement, pour les expédier autour de leurs feux de campement et tourner en rond devant leurs tepees pointus. Hugh ! J'ai dit ! Que mon frère la Grenouille qui coasse parle avec son cœur et non avec sa langue... C'est ce que je fais. Cet étonnement naïf ne m'a jamais quitté. A tel point qu'à la fin de mon voyage, chez les Indiens Crows, dans le Montana, une magnifique tribu, m'y trouvant un jour de fête et tombant sur un extraordinaire cortège de cavaliers en coiffure de guerre vêtus de peau blanche, lançant des appels de leurs voix de gorge qui avaient l'air d'incantations, sublimes seigneurs de la plaine, je m'écriai : « Enfin ! Des Indiens ! » Tant le mythe a la vie dure. Je me demande même si à leurs propres yeux, les Indiens ne se sont pas transformés en mythe.

D'autres obstacles, d'ordre psychologique, se plaçaient en travers de ma liberté de jugement. La somme de mes lectures, d'abord. J'ai dit la coulpe sans mesure à laquelle se laissent aller les écrivains américains. Ils ont au moins l'excuse de se sentir coupables au nom de leur nation. Mais que dire des écrivains français ! Beaucoup moins abondante, mais non sans valeur, il existe une littérature française récente consacrée aux Peaux-Rouges, où les reportages d'hebdomadaires, travaux de fond, forment une grande part. C'est bien fait, sérieux, mais cela empeste. Cela empeste le prétexte. Prétexte à l'activité principale de l'intelligentsia contemporaine : salir la race blanche occidentale, détruire ses ressorts par excès de culpabilisation, la charger de tous les maux du monde, la dégoûter d'elle-même. « Comment l'esprit de la terre pourrait-il aimer l'homme blanc ? Partout où il l'a touchée, il laisse une plaie... » dit un Indien par la bouche d'un de ces écrivains. Fermez le ban ! Et les Indiens finissent à leur tour par y croire ! Quand Vine Deloria, l'un des plus représentatifs d'entre eux, déclare, cette fois sans humour : « Nos idées triompheront des vôtres. Nous réduirons en miettes tout le système de ce pays. Que nous ne soyons plus que cinq cent mille Indiens n'a guère d'importance... Ce qui compte, c'est que nous avons une façon de vivre supérieure... » et que le sens déclaré de ce propos serve de thème à tous les ouvrages français sur les Indiens, je dis que c'est aller trop loin et trop bas et que cela finit par me donner des boutons. J'aurais tendance à devenir partial à mon tour, dans l'autre sens, ce que j'essaye de me garder de faire et qui ajoute une difficulté supplémentaire au combat de ma liberté d'expression. Quant à la façon de vivre supérieure des Indiens, selon Vine Deloria, il faudra examiner cela de plus près. Calmement.

Et puis, mes sentiments à l'égard des Indiens. J'ai parlé de mes yeux d'enfant. Il y avait aussi mes yeux d'homme. Je les ai trouvés parfois sévères. La mentalité d'assistés des Indiens américains, merveilleux tireurs de sonnettes politiques et de cordons de budget, l'enracinement de ce qui devient chez eux un parasitisme déclaré, l'acquit des droits et le refus des devoirs, leur irréalisme érigé à l'état de système commode qui leur permet de recevoir sans participer, de crier à la mort culturelle tout en courant d'autant plus volontiers à la soupe — on pourrait établir beaucoup de comparaisons entre les Peaux-Rouges et nos jeunes gens —, s'ils m'on souvent diverti, me conduisaient aussi à la désaffection. Et puis, brusquement, tout changeait. L'admiration surgissait, intacte, génératrice d'affection. Un Indien me parlait de sa tribu. Un autre se métamorphosait, au cours d'une cérémonie sacrée, en un sage très noble et très magnifique, que toute la richesse intérieure de la race transfigurait. Un autre, encore, revenait du sommet d'une montagne où il venait de méditer. Alors moi, big shitter, je ne comprenais plus.

Ce livre sera : contradictions. Elles garantissent ma liberté.

Jean Raspail en compagnie de
la princesse Nowadonah,
à qui est dédié le livre,
en ces termes :

à la princesse Nowadonah, de la tribu des Shinnecocks,
dernière descendante du chef Nowadonah qui accueillit à Long Island,
en juin 1640, le premier vaisseau de colons blancs, britanniques
et protestants, débarquant au nom du Christ, et signa avec leur capitaine,
un certain David Howe, le premier traité de paix, d'amitié et de cession
de territoire, entre Blancs et Peaux-Rouges.

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