«Quant à nous, nous avions choisi la plus simple,
la plus vénitienne,
et pas forcément la plus coûteuse des formules :
louer un petit palais...»

 

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Solar, 1992

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

Extraits

LES ILLUSTRATIONS PHOTOGRAPHIQUES

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

Il n'existe pas de recette pour aborder Venise, sinon d'éviter la foule, ce qui n'est pas impossible, et d'y conduire ses pas en homme libre, dégagé des clichés imposés.

Savoir flâner, savoir rêver, savoir se perdre dans le labyrinthe. Aller au gré de ses goûts, de sa fantaisie, de ses impulsions. Ne pas vouloir tout savoir, tout connaître : un détail bien observé suffit souvent à vous livrer une des innombrables clefs de cette ville. Question de chance, d'ambiance, de volonté, de prédisposition intérieure. Il y faut plus que le regard de l'œil, il y faut de l'âme et du cœur. Si le temps manque - et il manque toujours, à Venise -, on peut se faire aider. Tel est le but de ce livre.

Ce n'est pas un guide, mais un conseiller. S'il dit où et quand, il dit souvent comment et pourquoi. Il ne décrit pas, il raconte. Jean Raspail s'est promené des mois à Venise comme il l'a fait dans le monde entier, avec humour et curiosité, en voyageur et en écrivain.

EXTRAITS...

L'historien et chroniqueur Philippe de Commynes, envoyé du roi de France Charles VIII auprès du doge Leonardo Loredan, en 1503, relatait ainsi son ambassade :

« En un lieu qui est à cinq milles de Venise, là où on laisse le bateau en quoi on est venu de Padoue, au long d'une rivière et se met-on en petites barques, bien nettes et couvertes de tapisseries et beaux tapis velus dedans, pour se seoir dessus : et jusque-là vient la mer, et il n'y a point de plus prochaine terre pour arriver à Venise. Mais la mer y est fort plate, s'il ne fait tourmente, et à cette cause qu'elle est aussi plate, se prend grand nombre de poissons et de toutes sortes. Et fus émerveillé de voir l'assiette de cette cité, et de voir tant de clochers et de monastères, et si grand maisonnement, et tout en l'eau, et le peuple n'avoir autre forme d'aller qu'en ces barques, dont je crois qu'il s'y en finirait trente mille... »

C'est l'arrivée par la Brenta, rivière qui va de Padoue à Mestre et se jette dans la lagune. Une arrivée classique autrefois, que plus personne n'emprunte guère, au milieu d'une campagne plate où se dressait, solitaire, cinquante ans après la visite de Commynes, l'admirable Malcontenta, la villa palladienne des Foscari.

Le temps ne nous ayant pas manqué, à Venise, nous avons voulu suivre ce chemin liquide, oublié et mélancolique à souhait. Il n'y avait pas de « tapis velu » dans la barque, mais la barque était une élégante sanpierota (nous reparlerons de ce qui reste aujourd'hui de l'incomparable batellerie vénitienne) appartenant à notre jeune ami Marco, d'une antique famille de pêcheurs de la Giudecca cousinant avec des gondoliers.

Toute la pétrochimie de Marghera enfume le ciel de la Brenta. Il y flotte une tenace odeur de pétrole. Les cheminées et les brûleurs, et tout un labyrinthe de tuyaux argentés occupent en profondeur la rive gauche de la rivière, qu'un maigre rideau de saules et d'herbes folles protège mal. La Malcontenta est plantée là-dedans, au milieu de ses arbres centenaires, comme une arrière-garde posthume de ce qui fut et plus jamais ne sera. La rivière est pas mal envasée, déserte, le chemin de halage abandonné. De petits chantiers navals achèvent ça et là d'y mourir. Une écluse fonctionne, comme un souvenir. C'est un voyage de la mémoire. Des milliers de voyageurs, après et avant Commynes, sont passés par là, en dix siècles, avec, au bout de la route, toujours le même émerveillement, celui qui justement fut le nôtre : Venise au centre de sa lagune, que nous contemplons, debout sur le caillebotis de la sanpierota, parce qu'il suffit de se lever pour dominer d'une taille d'homme l'horizon lagunaire parfaitement plat, mais aussi parce qu'en découvrant Venise de cette façon, on se lève, en silence, par respect, par émotion.

Et l'on retrouve Philippe de Commynes, car cet itinéraire-là, qui conduit à la Giudecca par le canale nuovo di Fusina et l'île fantomatique et déserte de San Giorgio in Alga, passe loin des canaux lagunaires fréquentés et du pont de la Liberté qui relie Venise à la terre. D'autres barques se dessinent sur l'eau et, pour peu qu'il y ait un peu de brume, c'est magique. Ce sont des pêcheurs qui visitent leurs filets, ces filets particuliers à la lagune de Venise déroulés sur des rangées de perches fichées en terre et qui forment d'étranges enclos, de mystérieux pointillés gris à la surface de l'eau lisse. Il y a aussi des cabanes de pêche plantées sur des pilotis, édifices de bois rudimentaires qui ressemblent aux anciennes habitations des Vénètes et que le tremblement de l'air, les voiles de brume ou de chaleur déforment comme des mirages où se seraient installés pour toujours les Vénitiens des premiers siècles.

Nous avons parlé tout à l'heure du pont. C'est par là que nous sommes souvent arrivés, cette fois par chemin de fer, il n'y a pas de honte à cela. Le romanesque du train pour Venise n'est pas encore tout à fait mort et le Simplon-Orient-Express s'arrêtait autrefois en gare de Venise, d'où débarquaient Thomas Mann, Diaghilev, Stravinski ou Paul Morand. Ce pont a été construit en 1846, sous la domination autrichienne. Avec le café Quadri (que nous préférons au Florian, et nous dirons plus loin pourquoi), sur la piazza di San Marco, il est un héritage vénérable de l'Empire austro-hongrois au temps des orchestres militaires et des wagons armoriés qui amenaient jusqu'au Grand Canal tout le gotha de la vieille Europe.

LES ILLUSTRATIONS PHOTOGRAPHIQUES
D'ALIETTE RASPAIL