HENRI SEVIEN

Petite Histoire des colonies et missions françaises

Éditions de Chiré, 1985

 

Vous qui allez lire ce très beau livre avec l’impatience et la curiosité que je devine déjà, je voudrais d’abord que nous saluions ensemble son auteur, M. Henri Servien, et les Editions de Chiré, qui le publient. Plus tard, vous comprendrez tout ce que vous leur devez. Il leur faut du courage, du culot, une force de conviction peu commune, une foi inébranlable pour partir en guerre seuls, ou presque, contre la falsification et la destruction délibérée de notre mémoire nationale et chrétienne. Des forces malsaines, en effet, que vous apprendrez peu à peu à reconnaître en grandissant, s’acharnent à défigurer l’âme de notre pays.
Car la France a une âme, tout comme vous et moi, ne le saviez-vous pas ? C’est vrai qu’on ne vous en parle plus guère. Mais elle a fait de grandes choses, cette âme-là ! Pardonnez-moi un jeu de mots : ce n’était pas la France des droits de l’homme, c’était la France des droits de l’âme. Nul besoin de prendre la Bastille, de torturer la Vendée, de semer la terreur et de couper la tête au roi au nom d’une liberté que nous autres, chrétiens, possédions déjà de droit divin. Elle avait d’autres ambitions combien plus élevées. C’est cela que vous allez découvrir sous la plume de M. Henri Servien, dans cette Petite Histoire des Colonies et des Missions françaises qui est d’abord une histoire d’amour avec le monde entier pour théâtre. L’amour que l’âme de la France a toujours porté à son prochain par-delà mers et océans et que, souvent même, celui-ci lui a rendu...
Il n’y a pas d’oeuvre civilisatrice sans amour, et celle de la France fut immense. Sans nos missionnaires, nos soldats, nos marins, nos découvreurs, nos administrateurs, et même nos commerçants, qui bâtirent l’Empire colonial français aujourd’hui disparu, des dizaines de millions d’individus sur cette terre ne seraient jamais sortis de la nuit. Et si certains y retournent aujourd’hui, c’est parce que nous ne sommes plus là pour éclairer leur chemin.


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La France était un pays conquérant, certes, parce que c’était un pays fort et qui croyait en son destin. Ne suivez pas ceux qui vous disent qu’ il faut renier tout cela aujourd’hui. Soyez-en fiers, au contraire ! Pendant des siècles et des siècles, depuis la Première Croisade en 1095 jusqu’aux derniers combats d’Indochine et d’Algérie hier encore, la France a lancé les meilleurs des siens aux lointaines frontières du vaste monde. Pendant près de neuf cents ans, avec des fortunes diverses, elle s’est imposée aux quatre coins de la planète. Mais nos conquérants, toujours, pacifiques ou combattants, à l’échelle de leurs conquêtes, étaient tragiquement peu nombreux.

Combien se comptaient les Francs sous les murs de Jérusalem, le 15 juillet 1099 ? de 150 000 au départ, ils n’étaient plus que 12 000 et combattaient à un contre dix. Et c’est à un contre cinquante ou cent qu’ils se maintinrent en Terre Sainte pendant près de deux siècles ! Et les compagnons de Champlain, au Canada, pour fonder la Nouvelle-France, combien croyez-vous qu’ils étaient ? Quelques dizaines. Et les soldats de Lyautey, au Maroc ? Quelques milliers. Imaginez aussi la solitude de nos officiers, dans tel ou tel poste d’Afrique ou du Sahara, tenant des milliers de kilomètres carrés avec une demi-douzaine de tirailleurs ou de méharistes indigènes... et le drapeau. La force ? Non. Ou plutôt si : la seule force de la foi, celle qui soulève les montagnes.

Car il faut que vous appreniez ceci, même si l’on vous assure du contraire : ils apportaient une espérance, une autre vision de l’homme plus conforme à la charité et à la dignité, un souci du prochain jusque-là inconnu de ces peuples qu’ils soumettaient. Et le profit, lorsqu’il y en avait — ce qui ne fut pas souvent le cas — n’était jamais un motif, encore moins un moteur, mais seulement une conséquence. Au reste n’écoutez pas ceux qui vous disent que le profit est un péché et frappe d’un sceau infâmant toute conquête. Il y a de justes profits, mais cela est une autre histoire...


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Enfin voici les missionnaires, les missionnaires français et c’est là que Henri Servien nous attend, nous touche au coeur, nous emporte l’âme ! Nous en ignorions presque tout. Voilà que nous découvrons une évidence essentielle oubliée : que c’est au nom de la foi catholique, de la vraie foi, que nos missionnaires se lançaient à la conquête des âmes. C’était pour cela, rien que pour cela, qu’ ils sont morts, qu’ ils ont souffert.

Car il est de bon ton aujourd’hui, vous l’avez sans doute remarqué, de professer que toutes les religions se valent, chrétiennes ou non, qu’elles peuvent toutes conduire au salut éternel et qu’il n’est donc plus nécessaire de convertir les incroyants et de baptiser les infidèles. Si cela devait être vrai, comme on tente trop souvent de nous le faire croire, alors toute l’oeuvre de nos missionnaires, toute cette longue cohorte de martyrs deviendraient aussitôt absurdes. Absurde le martyr du Père Chanel, en Océanie, à Futuna, et celui de Mgr Epalle qui débarque aux îles Salomon, mitre en tête, et est massacré sur la plage ! Absurde le sacrifice du Père Brébeuf, martyrisé par les Iroquois ! Absurde la fondation des Missions étrangères de Paris, en 1659 ! Absurde l’apostolat du Père Guérin face aux musulmans de Tunis, dans les marchés d’esclaves ! Absurde l’oeuvre presque désespérée des Pères Blancs pour évangéliser l’islam et le sacrifice du Père de Foucauld ! Absurde l’épopée du Père Huc en Chine et le massacre en Indochine de dizaines de missionnaires français ! Absurdes les souffrances inhumaines des Oblats de Marie dans le Grand Nord polaire ! Absurde... Absurde...

Mais non ! rassurez-vous...

Repliée sur elle-même, la foi chrétienne ne signifie rien. Il n’y a pas de credo sans conquête des âmes. Ceux qui vous disent le contraire devraient relire saint Paul, le premier de tous les missionnaires. Et c’est à l’honneur de la France, justement, parmi toutes les nations de la terre, de lui avoir au cours des siècles suscité tant de successeurs.


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Je voudrais terminer par une anecdote personnelle.

En 1949 — j’avais alors vingt-quatre ans — avec trois compagnons routiers et deux canoës canadiens, j’ai refait entièrement, à l’aviron, par les rivières et les grands lacs, les portages et les rapides, l’exact itinéraire du Père Marquette de Trois-Rivières et Michillimackinac au fleuve Mississipi. Je suis même allé plus loin : jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Mon équipe s’appelait : l’équipe Marquette.

C’était un voyage dur. Que dire de celui de Marquette... Vous lirez au troisième chapitre de ce livre l’aventure du Père Marquette qui découvrit le Mississipi. Je possédais, dans mon canoë, la photocopie du récit qu’il avait écrit avant de mourir. Chaque soir, j’en lisais quelques lignes, sur les lieux même où il les avait écrites deux cent soixante-seize ans plus tôt. Imaginez mon émotion, ma ferveur, ma fierté. Je mettais mes pas dans les siens. Je vivais auprès de lui, comme lui...

Eh bien, c’est cette impression-là que j’ai ressentie avec émotion et fierté en lisant le livre de M. Servien. A votre tour de vous engager pas à pas, coeur à coeur, sur les traces de tous ces Français qui plantèrent le drapeau et la croix sur tous les horizons de cette terre.

Jean RASPAIL