ENTRETIEN AVEC JEAN RASPAIL

(paru dans Insurrection, an 2000 - à l'occasion de la sortie du
Roi au-delà de la mer)

 

Insurrection : Dans La Hache des Steppes notamment, vous racontez vos voyages à la recherche des peuples oubliés et de leurs « derniers survivants encore doués de mémoire ». Le Roi au delà de la mer est-il une façon de nous rattacher par le rêve à notre imaginaire national, avant qu’il ne soit trop tard ?

Jean Raspail : Ce qui me frappe c’est l’éloignement complet de l’idée royale de l’imaginaire français. On s’arrache les magazines comme Gala ou Point de Vue, mais ceci n’a rien à voir. Ce pseudo-engouement à l’égard des rois et des familles régnantes est un engouement de midinette. Si la royauté doit se placer à ce niveau là, il faut tout arrêter.

Insu: Maurras définissait la civilisation comme un capital et un capital transmis. Quel rôle assignez-vous à la littérature dans cette transmission ?

Jean Raspail : Actuellement ce qu’il en reste a un rôle essentiel. Ce n’est pas par les média que cela va se faire. La civilisation française doit se transmettre par la littérature. Je crois dans ce sens à l’importance du roman. On est envahi d’essais sur tout et n’importe quoi. Tous les hommes politiques pissent de l’encre. Je pense que la forme romanesque est une façon d’aborder les choses moins didactique, plus libre. Le roman est également fait pour se cultiver et se distraire. Aujourd’hui des auteurs comme François Taillandier ou Houellebecq représentent cette puissance du roman. C’est aussi une façon de parler des choses quand on est découragé...

Insu : Comme Sire, votre livre est un acte de foi. C’est aussi un acte d’espérance ?

Jean Raspail : Dans l’absolu certainement. Il y a encore énormément de gens, en dehors du noyau militant, qui, au fond de leur coeur et de leur âme, sans l’exprimer, savent qu’il leur manque quelque chose. Il y a un vide. Il y a quelque chose de sacré dans le pouvoir. Il faut sortir les hommes de leur niveau misérable. L’étincelle de sacré transcende les hommes. Ce n’est même pas le pouvoir royal qui le garantit, c’est une présence royale.

Insu : Vous terminez votre ouvrage en parlant du devoir d’insurrection contre le nouvel ordre mondial. Jean Raspail lieutenant-général ?

Jean Raspail : Non. Je ne suis pas un théoricien. Je suis écrivain, romancier, avec des convictions. Je suis persuadé que devant l’immense pression des média qui infligent un consensus mou, un petit minimum garanti de progrès, de religion, de confort, si l’on veut que le pays continue à exister, il faut trouver des formes d’insurrection. Pas forcément armées. Mais de véritables insurrections. Des refus. Pas des réunions tranquilles. Quelque chose me travaille beaucoup c’est le royaume parallèle, que j’ai à peine effleuré dans cet ouvrage. Je me demande si au cours du XXIe siècle, le roi qui voudrait être reconnu roi de France, ne devrait pas plonger dans l’exil, dans une sorte de maquis et fédérer presque clandestinement ce qui resterait de sain dans le pays. Il y a un pouvoir moral qui manque dans ce pays. Tout tourne autour de l’économie. Il faudrait qu’il y ait un fédérateur de tout ça. Il faut des actions symboliques et des insurrections.

Insu : Au terme de ces adjurations au Prince, quels conseils donneriez-vous à un royaliste de vingt ans?

Jean Raspail : Il a bien de la chance d’être royaliste. C’est la seule position tenable. “Confortable” même. On est bien dans cette position, on est pas en contradiction avec soi-même. Et ce n’est pas seulement une position politique. Elle est aussi religieuse, philosophique, éthique. C’est presque tout un art de vivre et de penser. C’est un tout. Pas de Dieu, pas de roi, de toute façon. L’espoir de voir les choses aboutir est un autre problème... En attendant, il pourrait secouer un peu son prince.

Propos recueillis par DAVID SELLOS