Carnets d'aventures
Présentation par Jean Raspail

 

Mille kilomètres de désert hostile entre la mine de Taoudeni et Tombouctou, cinquante chameaux chargés de barres de sel, quatre convoyeurs touaregs et une jeune Française, Blanche de Richement. Au bivouac, pour allumer le feu, elle ramasse les crottes des bêtes. Que fait-elle là, au sein de cette méharée qui s'obstine entre deux mondes ? À son retour, elle écrira : «Avec les camions et les années qui passent, les caravanes vont s'éclipser tout doucement. Elles seront absorbées par le vide d'une époque où la vitesse impose sa loi. Alors le sel gemme n'aura plus le goût du silence des longues marches à travers les sables. » Cette dernière phrase est magnifique, le regret poignant de ce qui ne sera plus, l'adieu à ceux qui s'en vont. C'est pour nous dire cela qu'elle a marché, qu'elle a souffert.

Seule avec les nomades du sel fait partie des douze récits qui composent Carnets d'aventure, publié à l'initiative de la Guilde européenne du raid. Sylvain Tesson, dans sa préface, affirme qu'une aventure vécue n'est pas véritablement achevée tant qu'elle n'a pas été écrite, qu'il faut pour cela, même recru de fatigue, prendre des notes chaque soir, et que de tous ces mots, ensuite, devra surgir la transcendance sans laquelle un livre de voyage est raté. C'est l'école tessonnienne. La jeune littérature d'aventure en avait rudement besoin.

Autre récit, celui d'Edouard Cortès. Sur les pentes du mont Ararat, à 5 000 mètres d'altitude, c'est au mythe de l'Arche du déluge qu'il s'affronte. Selon d'antiques témoignages, les glaciers de l'Ararat auraient restitué autrefois d'infimes morceaux d'un bois très dur et très noir, fragments de carène ou d'espars. Alors il fouille, il risque sa vie, il scrute les crevasses de glace, suspendu au bout de sa corde, jusqu'à prendre conscience, épuisé, que toute recherche est illusoire. Il écrit : «Mon enquête tourne à la quête. Je caresse l'Absolu enfoui dans mes crevasses intérieures... »

Dans Amazonian Vertigo, Stéphanie Bodet rédige plus sec, plus musculaire. Un style assorti à sa périlleuse spécialité : escalader, au plus près du rideau liquide, parmi les embruns et les arcs-en-ciel, les parois des plus hautes chutes d'eau du monde, ici le Salto Angel, un kilomètre de verticalité trempée, quinze jours de lutte, mètre après mètre. On trembla de peur pour elle. À cela Stéphanie répond : «Avoir peur ne signifie plus rien lorsque l'engagement est complet et qu'on est seul à maîtriser son destin. » Sait-elle que notre plus illustre écrivain voyageur, Chateaubriand, l'avait précédée sur ces voies-là, en 1791, s'attaquant en toute modestie aux chutes du Niagara ? Au livre septième des Mémoires d'outre-tombe, il raconte comment, s'étant cassé un bras, il s'était rattrapé de justesse en agrippant de sa main valide une racine, restant suspendu un long moment, ses doigts s'ouvrant peu à peu, au milieu des rugissements de l'eau. Il commente à sa manière : « Il y a peu d'hommes qui aient passé dans leur vie deux minutes comme je les comptai...»

Des douze récits de Carnets d'aventure, neuf méritent le qualificatif « d'exception » qui figure sur la couverture. Déjà une remarquable proportion. Je me suis réservé la fin de cette chronique pour saluer quatre jeunes auteurs qui ont chacun publié récemment un livre où se manifeste avec panache le renouveau de la littérature d'aventure : Luc Richard, immergé au Sin-Kiang, Falk van Gaver, au Tibet, Constantin de Slizewicz dans des vallées closes où survit, sans prêtres et sans évêque, le diocèse fantôme du haut Yunnan, et Sébastien de Courtois à travers toute l'Asie, sur la piste des derniers chrétiens nestoriens.

Retenez ces quatre noms prometteurs...