SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
le jeudi 4 décembre 2003

Lecture du Palmarès

par M. Michel DÉON
Directeur de la séance

 

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

 

 Le Grand Prix de Littérature est attribué à M. Jean RASPAIL.

 

Laissons-lui le soin de se présenter : " Ma famille, écrit-il, est languedocienne. Département de l’Hérault. Languedoc de l’Est. Narbonnaise de Rome. Septimanie du Bas-Empire. De la Scandinavie chalcolithique aux marais du Pripet, à travers le Mecklembourg et la Poméranie, puis des steppes de la mer d’Azov au Languedoc en traversant toute l’Europe en sang, la route est limpide pour qui admet ses origines. " C’est donc un authentique Wisigoth que nous honorons aujourd’hui, sous cette Coupole.

 Arrivé à l’âge d’homme, Jean RASPAIL cède à l’appel du voyage — les deux Amériques, le Japon, le Congo belge dans sa tourmente suicidaire, Hong Kong et Macao, en passant par les Antilles : " En quarante ans de voyages à travers le monde, explique Jean RASPAIL, j’ai suivi de nombreuses pistes qui menaient aux derniers survivants encore doués de mémoire. " Son périple ne doit donc rien à la curiosité de l’ethnologue : il est un hommage à tous les peuples deux fois morts — balayés par les fracas de l’histoire et ensevelis dans la mémoire des hommes. À son premier voyage vers des terres lointaines, Jean RASPAIL doit sa vocation d’écrivain : " À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1943 ", aux abords d’un village algonquin. L’admirable Qui se souvient des hommes… et le non moins beau Pêcheurs de lunes témoignent de cette conversion : écrire pour vaincre les puissances de l’oubli.

 De retour en France, Jean RASPAIL doit se plier à de nouvelles exigences, relever de nouveaux défis. " Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force ", écrivait Céline dans le prologue du Voyage au bout de la nuit. Jean RASPAIL est appelé lui aussi " de l’autre côté de la vie ". Lorsque sa quête se fait toute intérieure, lorsqu’il devient, comme tant de ses héros, orphelin de ses rêves, le Wisigoth aborde aux rivages de la Patagonie : " Jeune explorateur, dans les années cinquante, je m’étais volontairement enfoncé, plusieurs mois durant, dans les solitudes australes de la Terre de Feu, la Patagonie, le cap Horn, le détroit de Magellan, là où se rejoignent le tout et le néant. Sur les cartes marines, en ces temps, les contours de nombreuses îles figuraient en pointillés hypothétiques. Les derniers Indiens vivants fuyaient au plus profond des fjords déserts, emportant dans leurs canots le feu enfermé dans un pot de terre. C’est là que j’ai appris à vivre : une bonne école. C’est là que j’ai appris à rêver ma vie… " À l’instar d’Antoine de Tounens, éphémère souverain de Patagonie, qui lui valut le Grand Prix du Roman de l’Académie, Jean RASPAIL célèbre cette patrie perdue où il choisit d’établir son exil intérieur avec tendresse, avec ironie, avec fierté, avec mélancolie. " C’est, nous dit-il, être exactement Patagon que d’accommoder ensemble ces quatre sentiments-là. "

 Cette retraite n’appelle pas l’inaction, et la solitude de Jean RASPAIL est celle du veilleur au rempart. Semblable à ces Sept cavaliers qui quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était pas fermée, ultime défense d’un royaume qui a perdu la foi en son propre destin, il a, une fois pour toutes, fait vœu de ne pas subir : " Tête haute, sans se cacher, au contraire de tous ceux qui avaient abandonné la ville, car ils ne fuyaient pas, ils ne trahissaient rien, espéraient moins encore et se gardaient d’imaginer. "

 Nous n’aurions pas tout dit de Jean RASPAIL si nous ne rappelions pas son roman : Le Camp des saints. Ce livre qui atteint presque sa majorité aujourd’hui est à la fois une œuvre passionnante et si prophétique qu’on ose à peine y croire. Les grands romanciers sont des extralucides qu’on a tort de trop souvent prendre pour des jongleurs. Le Camp des saints est un livre qui a conquis les États-Unis si peu enclins à s’intéresser à la littérature française. Jean RASPAIL a reçu le prix Thomas Eliot décerné par l’université de Chicago.

 J’ajouterai que Jean RASPAIL nous a aussi offert le plus beau rêve qui soit : un mythique royaume de Patagonie. Pour tous ceux qui veulent bien encore jouer à s’inventer un monde d’aventures et de fantaisie, le royaume de Patagonie a ses couleurs, son hymne national et des correspondants dans le monde entier grâce à un pléthorique service diplomatique dont j’ai l’honneur d’être le consul général en Irlande, tâche qui ne me distrait pas trop de mon propre travail. Les Patagons de passage ne posent aucun problème.