La Patagonie

de

Jean Raspail

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Message d'Aliette Raspail

Le Consul général de Patagonie est mort le 13 juin 2020. Il a été béni en toute gloire, orné de son drapeau, devant Dieu et ses Patagons émus. J'ai moi-même mis ce drapeau dans sa tombe pour l'éternité. Ainsi se temine cette grande idée d'une Patagonie Idéale et le "Jeu du Roi", comme Jean l'a désiré. Dès lors, il n'y aura donc plus de nouveaux Patagons, la chancellerie ferme ses portes et il n'y aura plus de BLAP... Les Patagons comprendront et garderont le souvenir de cette grande aventure, que nul autre que Jean Raspail pourrait poursuivre.

Extrait de Hurrah Raspail !
© Philippe Hemsen

        « Je courus aussitôt à sa frontière, cette fois sans me cacher. »

            Voilà !

            « [ …] S’il me saluait d’un “bonjour, compagnon !”, ma foi, je lui répondrais ! [...] On se souvient de la pancarte : propriété privée, défense d'entrer. »

            On s’en souvient !...

            « Elle avait été recouverte par une feuille de carton, fixée par quatre punaises. Sur la feuille, en lettres capitales au crayon-feutre, ces trois mots :

Royaume de Patagonie

Au pied du drapeau, avec ses jumelles, le roi m'observait. »

(Jean RASPAIL, Le Jeu du Roi, p.49)

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            Le gamin joueur-rêveur a pris pour nom, en l'occurrence, Jean-Marie Ghislain Pénet. Plus tard, il se nommera Bertrand Carré dans L'île bleue. Mais il pourrait tout aussi bien se nommer Pierre de G., un prince, celui-là, le héros du chapitre 13 de Pêcheur de Lune…  Seul importe le regard de l’enfant sur son propre monde qui, lui, a pour nom : Patagonie. Un royaume à la convenance de l’imagination, où l’on peut se mettre en quête d’aventures aussi vaines que grandioses, de beaux gestes, de belles attitudes, « colonnes vertébrales de l’âme » (Le Roi au-delà de la mer), mû par le rêve de ce qui aurait pu être, jusqu’à des sacrifices inutiles qui rachètent par la beauté de leur inutilité même le prosaïsme petit-bourgeois d’une époque qui a perdu l’esprit de l’épopée, ne sait plus rêver de grandeurs ni d’héroïsme. Et si l’on n’avait pas compris, Jean Raspail met en exergue à son récit une citation de Roger Caillois : « Le rêve est un facteur de légitimité. »

            Pourquoi la Patagonie ?

            D’abord et très précisément, parce que c’est l’exact contraire du monde grouillant du Camp des Saints.

            La Patagonie, c’est l’espace, les éléments, le vent, la pluie, le froid, et la solitude, un pays où l’on peut galoper – ou rouler – des journées entières sans croiser un seul autre être humain. Un pays où l’imagination peut s’ébrouer, se déployer, prendre une ampleur insoupçonnée à la taille d’un monde, d’un univers.

On pourrait sans doute disserter longuement sur les multiples significations que revêt la Patagonie, dans l'univers romanesque de Jean Raspail ; nous n'en retiendrons qu'une seule, ici : celle qui est liée à l'écrivain lui-même, sachant que le narrateur du Jeu du Roi se présente d'emblée comme un instituteur obligé à l'écriture, comme on peut être l'obligé d'un hôte.

Et c'est bien au titre d’hôte que Jean-Marie Ghislain Pénet nous conte son histoire ; hôte d’un Autre qui, plus qu’il l’a ouvert à son rêve, a offert une formidable caisse de résonance, fort élaborée, au rêve de l’enfant venu à lui, un peu à la façon dont Richard Wagner accueillit d'antan, en son propre royaume, les rêves du roi Louis II de Bavière, bien davantage que celui-ci n’accueillit celui-là en son royaume.

Ici, cependant, c'est le roi qui accueille l’artiste à venir – ce que devient de fait le narrateur en couchant sur le papier son épopée –, parce que désormais le roi a transporté son royaume dans une forme d’éternité, en coupant tous les ponts derrière lui. Il a retenu la leçon de son illustre prédécesseur qui, réfugié en son château de Neuschwanstein, avait eu la faiblesse d’ouvrir la porte à ceux-là même venus l’arrêter pour l’enfermer comme fou.

La Patagonie est donc un mythe ; un monde où le roi est pleinement roi en son royaume, sans compromis ni concessions, hors de toute réalité, quand bien même celle-ci ne serait que verbale.

« Notre force s’appelle : solitude. Le flambeau se transmet la nuit, au milieu du désert. Craignez vos semblables par-dessus tout. Restez muet. Sinon, ils vous détruiront. » (Le Jeu du Roi)

Mais la Patagonie, c'est aussi le chemin initiatique par lequel un rêve d'enfant – un rêve enfantin – se transforme en tout autre chose : en un jeu de roi, qui est épopée ; épopée non pas simplement imaginée, mais vécue, pleinement vécue du côté de la « face cachée » de l’homme. En ce sens, Le Jeu du Roi est la matrice de toute l'œuvre romanesque à venir de Jean Raspail : elle en délimite le territoire, en précise la géographie, en définit les rites, l'organisation, la thématique, la coloration... Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, cette nuit « au milieu du désert », au cœur de laquelle se transmet « le flambeau », sera désormais omniprésente, chez Raspail, autant dans Septentrion, que dans Les Yeux d'Irène, L'île Bleue, Sire ou bien encore L'Anneau du pêcheur.

Avec Le Jeu du Roi, Jean Raspail, comme romancier, s’est lui-même inventé, dans sa spécificité propre, à l'image de Jean-Marie Ghislain Pénet qui, plus encore qu'il ne rêve, « se rêve ». Les précédents ouvrages de Jean Raspail, jusqu’au Camp des Saints, prenaient pour ainsi dire la mesure du monde, tel qu’il est, plus qu’ils n’inventaient un monde. Long moment obligé pour donner forme et substance au rêve, un peu à la façon de la Patagonie géographiquement bien réelle que parcourut Jean Raspail dès 1951, socle pré-existant et réaliste de la Patagonie mythique du « roi par la grâce de Dieu et la volonté des Indiens de l’extrême sud du continent américain ». - A défaut de quoi, le rêve serait demeuré celui d'un enfant, ce que saisit parfaitement l’enfant lui-même, dans le Jeu du roi, dès sa première rencontre avec le roi, après avoir noté, très significativement : « Ainsi, tout commença ».

« Mes rêves changeaient de monture et galopaient sur les chevaux du roi. Ils sautaient par-dessus les mers et les siècles et croisaient de fantastiques cortèges avec lesquels nous échangions de longs saluts. Et puis tous ces mots clefs, jalons temporels marquant la chevauchée du roi : "Il y a dix ans, le cap Horn... L'an dernier, un vieil Indien Tehuelche...". La Patagonie existait. Le royaume était aussi de ce monde : le roi Antoine y était allé. »

 Le socle géographique inspiré du réel ainsi que le socle historique sur lesquels s’édifient les univers romanesques de Jean Raspail, sont ce qui leur confèrent leur crédibilité, leur force mais aussi, en un certain sens, toute leur ambiguïté. Sait-on jamais, avec Jean Raspail, si l’on est dans l'Histoire ou dans la fiction, dans un lieu réel ou dans un lieu inventé ?* Ces référents forment comme la porte d'entrée dans chacun de ces univers, au point que, passé cette porte, on ne distingue plus très bien ce qui relève de l'imagination de ce qui relève de la réalité.

Philippe Hemsen


* Au titre de créateur et responsable du site officiel de Jean Raspail, j’ai reçu très souvent des messages de lecteurs, curieux de savoir où se situait précisément, dans la réalité, tel épisode de tel roman de l’auteur. Ces messages, je les transmettais scrupuleusement à Jean Raspail qui y répondait en règle générale par une formule du type : « La localisation du lieu appartient à l’imagination de l’auteur. »