«L'homme vivant est un sauvage. Vous, vous êtes mort!» 

«"Homme" et "sauvage" sont deux mots qu'il est impossible d'accoler.
Il n'a jamais existé de sauvages dans l'espèce humaine,
mais simplement différentes façons d'être un homme.» Jean Raspail

 

 

Robert Laffont, 1971

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

TABLE DES MATIÈRES

EXTRAITS

COMMENTAIRES

Table de concordance des nouvelles

 

QUATRIEME DE COUVERTURE

«Le 28 juillet, à 0 h 40, le téléphone intérieur de la ligne de métro 7 bis, Louis-Blanc - Pré-Saint-Gervais, tomba en panne exactement au moment où Jonathan Bouko-Boko, sous-chef régulateur du Pré-Saint-Gervais, s'apprêtait à diffuser un message de service. "Ce truc là se fout de moi!" dit-il. Alors il dévala sur le quai, ouvrit la porte d'un réduit, en tira trois poubelles métalliques vides, posément les retourna, les aligna devant une banquette et s'assit jambes écartée, poings levés. En cet instant prodigieux, dans la station déserte, retentit pour la première fois l'appel de la forêt africaine, le tam-tam de Jonathan. Les cent deux employés de la ligne n°7 bis, qui appartenaient tous à la tribu des Boukassas, comprirent parfaitement le message, amplifié par les tunnels de la station de métro. Et c'est ainsi que tout commença...

Quatre longues nouvelles, quatre histoires exemplaires, tour à tour cocasses et dramatiques, composent ce volume. Avec un humour qui va parfois jusqu'à la férocité, de la verve, une grande santé, une liberté totale de ton. De l'humeur aussi, et fort vive, à l'abordage des tabous...

 

TABLE DES MATIERES

1. L'ascenseur du président Césette

2. La lettre du Papou

3. Sur la ligne N° 7 Bis (Louis-Blanc - Pré-Saint-Gervais) Noirs sont les tunnels du métro...

4. Une étrange exploration dans la forêt africaine en l'an 2081

COMMENTAIRES

- INCURSION/EXCURSION AU CŒUR DE L'AFRIQUE -

Étranges excursions, à vrai dire... Au cœur de l'Afrique? Ou bien au cœur d'une mauvaise conscience africaine? Une mauvaise conscience qui, à l'occasion, profite des dysfonctionnements de notre monde technologique pour se jeter elle-même par-dessus bord, comme une défroque d'empreint, trop étroite, trop rigide, dont on se débarrasse avec parfois un geste de violence, mais toujours avec un euphorique sentiment de libération. Bref, selon Raspail, le slogan secret de l'Africain est : Sous les pavés, l'Afrique...

Et l'Afrique de Jean Raspail en a marre, au plus profond d'elle-même, de se contraindre à nous imiter, pour mieux se fondre dans les us et coutumes de notre monde. A cet égard, la plus extraordinaire nouvelle du recueil n'est peut-être pas celle qui lui donne son titre, mais la dernière, cette Étrange exploration dans la forêt africaine en l'an 2081.

Cependant, on peut se demander si, finalement, pour Jean Raspail, l'Afrique n'est pas seulement un prétexte... Une sorte de bombe à retardement qu'il s'amuse à placer sous nos pieds, pour mieux observer les dégâts, lorsqu'elle  explose.

Et il semblerait bien qu'elle doive fatalement exploser, un jour ou l'autre...

«Quand l'aube se lèvera tout à l'heure sur notre capitale purifiée », déclare finalement le président africain Léonidas Césette, après avoir fait beaucoup d'efforts pour tenter, très autocratiquement, de faire de son pays un surgeon de l'Occident, «que pas un Blanc ne soit encore vivant pour essayer de nous faire croire, avec son hideux sourire, ses mains offrants des cadeaux pourris et sa cervelle emplie d'idées empoisonnées, qu'il nous faut suivre le temps qui marche! Nous sommes les maîtres du temps, nous l'arrêtons pour toujours, et plus jamais nous n'aurons à le suivre!» 

Parce que, bien évidemment, ça ne peut que mal finir. En ce sens, l'Afrique de Raspail, c'est encore l'empêcheuse de tourner en rond du monde occidental ONUesque. Elle s'efforce naturellement de faire bonne figure dans le concert des nations - de «suivre le temps» -, mais il suffit d'un rien... d'un ascenseur qui tombe en panne, à moins que ce ne soit d'un téléphone, ou bien encore d'une rencontre inopinée avec une méchante caricature d'elle-même, pour que l'Afrique tribale se réveille en une explosion vitale qui, par le biais d'un massacre expiatoire, lui fait retrouver ses racines et... sa fierté.

Bref, on le comprend la vision que nous offre ici Jean Raspail de l'Afrique, dans ces «Nouvelles Exemplaires», est tout, sauf politiquement correcte. Elle va à l'encontre de l'idée même d'«intégration», réduite ici à une sorte de jeu...

«Du temps que les enfants savaient jouer, c'est-à-dire sérieusement, et en bande, c'est-à-dire en société hiérarchisée comme telle, l'image qu'ils donnaient de leurs jeux imités des activités des adultes ne différait du modèle que par un excès de zèle. Tout le reste s'y retrouvait. [...] Conscience professionnelle exigeante, identification  à la fonction, fierté de la perfection obtenue : un jeu! Mais qui dure le temps d'un jeu... Et c'est exactement ce qui occupait tant les Boukassas, durant cette journée du 1er août: un jeu, le jeu du métro, avec rôles variés, règlements et accessoires. Voilà pourquoi ils s'y appliquaient tant, pourquoi ils en remettaient, fignolaient les trou dans le ticket, le coup de sifflet, la position de la casquette et le vocabulaire: "Bien compris, monsieur le sous chef régulateur; c'est l'heure de partir, monsieur le conducteur de train..." Occidentaux de race noire, assimilés, satisfaits, ils s'étaient contentés jusque-là de faire leur métier. Ressuscités Boukassas, retribalisés, nègres possédés [...], ils jouaient à faire leur métier...»

Ce faisant, il est vrai, on peut se demander si Jean Raspail ne se situe pas, précisément, à l'opposé de toute idée "néo-colonialiste" qui, sous couvert d'aide au développement, de démocratie et de droits de l'homme exportés, tend à uniformiser la terre entière selon le prétendu modèle de la civilisation occidentale...

©Philippe Hemsen

 

EXTRAITS...

1. EXTRAIT DE LA LETTRE DU PAPOU

Donc, ami lecteur, je passai par là, donnant une conférence quelque part dans le département de l’Eure. [...] On éteignait les lumières de la salle des fêtes dans le dos de la dernière spectatrice, une vieille fille que je m'apprêtais à suivre sans autre intention que de gagner l'air libre à mon tour, lorsqu'un monsieur très bien surgit de l'ombre et m'arrêta. Un monsieur très bien, en Nor­mandie, c'est un personnage bien vertical, d'une soixan­taine d'années, avec une jolie moustache qui ne sent pas le bouseux, des culottes de cheval serrées par des leggings, une espèce de vareuse militaire avec de grandes poches pour la pipe et une minuscule rosette de la Légion d'honneur, et un chapeau de feutre, fané mais non cras­seux, orné d'une plume de faisan. Sous ce genre d'uni­forme, on trouve dans ces régions des colonels en retraite, des rentiers de la terre, et des cousins de La Varende qui vendent leurs champs un par un depuis cent cinquante ans pour réparer leurs toits, doter leurs filles, ou acheter une représentation en papeterie à leurs fils. Je tombai à peu près juste, sur un cousin de La Varende qui n'était pas colonel :

- Pierre de La Nouville, dit le monsieur, ministre plénipotentiaire en retraite. Si vous n'avez rien d'autre à faire, venez donc boire quelque chose chez moi. Vous pourrez y manger un bon pâté de lièvre. Vous y coucherez, si vous le désirez. La maison est chauffée.

Même proposée avec aisance, comme celle-là, c'est le genre d'invitation que je refuse toujours. En général, l'hôte s'ennuie dans sa cambrousse, et vous fait recommencer pour son seul usage une conférence deux fois plus longue, qu'il paye en whiskies de second ordre. Puis je pensai à l'auberge du Cheval-Noir, dont j'apercevais la minable lanterne au coin de la place. Le patron avait dû couper le chauffage depuis dix heures du soir, selon la coutume, à la plus grande gloire de l'hôtellerie française. Il y avait aussi le pâté, et puis ce Pierre de La Nouville qui avait l'air de se marrer de telle façon, l'œil brillant, riant du regard comme j'aime bien que les gens rient, à propos de la vie et de tout... J'acceptai.

Dans sa voiture qui sentait le chien, il me dit :

- J'ai bien aimé votre genre d'humour. (Merci quand même ! A en juger par la mouche qui volait, j'avais cru m'adresser à des buses.) Vous aimerez mon Papou. C'est pour lui que je vous invite. Peu de gens, ici, savent apprécier Josué-Gaston Akata...

Après l'étrange annonce, je m'attendais à tout.

2. EXTRAITS DE SUR LA LIGNE N° 7 BIS

        

L'Afrique noire, précisèrent les ethnologues, reste le plus petit de tous les continents, car elle tient tout entière dans la cervelle de chaque Africain. Senghor a trouvé un nom pour cela: la négritude. 

Mais les Boukassas ne connaissaient pas Senghor, ils n'en avaient jamais entendu parler. Dans l'Afrique de leurs cervelles, ils ne l'avaient jamais rencontré. Rien d'étonnant. La négritude de Senghor, président de république, est une négritude de salon, conçue dans un palais, au faîte des honneurs, entre une épouse légitime blonde et un téléphone blanc. C'est à l'opposé qu'éclate la négritude boukassa, vivante, puisant la force, de toutes ses racines vigoureuses, dans la seule terre d'Afrique.

 

- Bourrés de chanvre ! avait conclu le directeur de la P. J. Bourrés de chanvre jusqu'aux yeux ! Inutile de chercher plus loin...

C'était exact. Des doses tellement massives que trois d'entre eux agonisaient à l'hôpital Saint-Louis, dont le brave Sansanné-Mango qui retrouva son occidentale dignité au moment de mourir et s'inquiéta de savoir si sa retraite serait quand même versée à sa vieille femme, quelque part au Bahomey. Le chanvre! Inutile de chercher plus loin. Et de la sorte, le policier, en honnête homme, sauvait sa propre conception de la humaine, celle qu'on affecte de respecter en Occident et qui ne peut sombrer dans de tels égarements que sous l'effet d'un excès de drogue, ou d'un dérèglement du cerveau. L'ethnologue pensait différemment. Mais comment l'expliquer? Et pourquoi? On l'aurait mal compris. On aurait prononcé le mot « sauvages », ce qui était faux, alors qu'on s'en était tenu jusque-là au terme de « sauvagerie », ce qui était vrai. Sauvages, les Boukassas ne l'étaient pas. Ils ne le furent jamais. « Homme » et « sau­vage » sont deux mots qu'il est impossible d'accoler. Il n'a jamais existé de sauvages dans l'espèce humaine, mais simplement différentes façons d'être un homme. Les ethnologues savent que personne n'a qualité pour définir la meilleure façon d'être un homme, surtout lorsque ce jugement s'applique à des individus de race noire, qui, pour survivre dans ce monde nouveau, n'ont même plus le droit d'être hommes à leur façon. Autant admettre le chanvre comme explication. Et l'ethnologue approuva. Un honnête homme, lui aussi. Le chanvre ceci... le chanvre cela... il fut très convaincant. Il n'en croyait pas un mot.