«Si j'ai volontairement insisté sur la description de cette scène,
c'est que nous nous trouvons devant trois personnages
pour lesquels prime l'attitude.
C'est une disposition de caractère
devenue peu courante.
Aujourd'hui, l'on confond pose et attitude.» 

Extrait de La Domination

 

 

Robert Laffont, 1982

 

QUATRIÈME DE COUVERTURE

LES NOUVELLES

EXTRAITS Table de concordance des nouvelles

 

QUATRIEME DE COUVERTURE (1973)

  Il y a un style «hussards». Une façon de se tenir droit, d'aller jusqu'au bout de son destin, de mépriser les compromissions et de rire de ses illusions, de s'inventer une cause à sa mesure et de la défendre hautement, quitte à en mourir, mais gaiement. Plus qu'une morale : une attitude. Voilà pourquoi j'ai groupé les héros de ces nouvelles sous l'étendard tonique des hussards, bien que l'on trouve aussi parmi eux une jeune fille, Lilia.

Ces histoires, je les ai inventées, car j'aime par-dessus tout raconter. Je les ai voulues belles car nous avons grand besoin de belles histoires et c'est en ce sens-là que je les ai qualifiées d'exemplaires. Elles sont au nombre de cinq. Les résumer ici serait les abîmer. Qu'il me suffise de dire, sans trop d'humilité, que pour ces cinq nouvelles je donnerais la moitié de mes romans.

Quatre sont inédites. La cinquième, Les Hussards de Katlinka, légèrement remaniée, figurait il y a dix ans dans La Hache des steppes, ouvrage aujourd'hui épuisé.

_________________

Je ne sais si les « hussards » m'auraient accepté parmi eux. Je suis un peu plus jeune qu'eux, qu'ils soient vivants ou morts. Ils étaient gais, légers, merveilleux, profonds, impertinents. Au temps de leur triomphe, je n'existais pas, je voyageais, j'étais ailleurs et nulle part et j'ai écrit un peu trop tard, en ces années recuites où les carottes sont cuites. Mes hussards à moi sont des ombres, des silhouettes attardées. Leurs élans inutiles sont d'immenses regrets. Leurs trompettes retentissent sur tant d'espérance couchée.

Cela n'empêche pas la musique.

Jean Raspail

LES NOUVELLES

1. La passation de pouvoir

2. La Clef d'or

3. Les Hussards de Katlinka

4. In Partibus infidelium

5. La Domination

 

EXTRAITS

La Clef d'Or

En dépit des apparences qui sont le plus souvent celles du commun, la mort d'un écrivain, d'un romancier, ne peut ressembler à nulle autre.

L'écrivain est une sorte de serrurier brouillon et désordonné, encombré de clefs et de serrures dépareillées parmi lesquelles il s'épuise tout au long de sa vie à retrouver telle ou telle clef ouvrant telle ou telle serrure de l'âme, du cœur ou de la destinée. Certains n'y parviennent jamais, cela ne les empêche pas d'écrire. Mais à tous, leur propre mort, pour peu qu'elle s'annonce de façon claire et dans un délai convenable propice à la réflexion, offre l'occasion unique de se forger une clef d'or à son goût qui ouvrira immanquablement cette dernière porte close. À quoi pense un vieil écrivain que l'on croit déjà inconscient, immobile sur son lit d'hôpital, les yeux clos, respirant à peine et péniblement tandis que tout un réseau de tuyaux émergeant de son nez, de ses bras, de ses reins, en font une sorte de scaphandrier en plongée posthume chez les vivants ? Il jubile. C'est le cas le plus ordinaire.

Il y a les cas rares.

Comblés des dieux, Brasillach ! Il se vit mourir debout, fusillé, ayant eu le loisir, dans sa cellule, en pleine conscience, de ciseler sa dernière clef. Les écrivains suicidés appartiennent à cette mince phalange d'élus, avec ce privilège formidable d'avoir tenu cette clef dans la main, de l'avoir soupesée, jaugée, examinée sous toutes les faces et tous les éclairages, enfin de l'avoir aimée comme on aime une œuvre d'art avant d'en ouvrir la porte des morts en un geste tout-puissant, mais on ne sait rien des ultimes pensées qui accompagnèrent la volonté de ce geste. Le testament spirituel, la lettre sur la table, les écrits posthumes et la mort resplendissant soudain en filigrane à travers tel ou tel de leurs livres, certaines confidences aux intimes, c'était avant le geste. Certaines clefs gardent leur mystère. Ou plutôt, du double mystère, l'un des jumeaux s'éclaire tandis que l'autre s'enténèbre à jamais. Il nous en reste seulement la clef. Près de nous, Montherlant et Gary nous ont fait don de deux clefs d'or.

En voici une troisième...

J'avais un ami écrivain. C'est l'amitié la plus lourde qui soit et certains écrivains heureux, je veux dire à l'aise dans leur solitude, préfèrent ne point avoir d'amis, seulement des relations. Ces gens-là ne donnent rien à leurs amis, ils gardent tout pour eux, ils n'entrouvrent jamais en présence de leurs intimes le coffre-fort où ils cachent leurs sentiments, matière première où ils puisent et dont ils vivent, craignant de le découvrir tel qu'il est en réalité, c'est-à-dire vide. En public, d'une boîte à malice en toc ils déballent à profusion réponses aux interviews, mots de dîner en ville, parades à la télévision. Ce ne sont qu'inepties, propos de circonstance, faux bijoux pour faux lecteurs à faire hurler d'horreur l'homme de goût et j'ai souvent hurlé de dépit en regardant s'agiter sur le petit écran mon ami Frédéric Puisant. Ce que doit admettre une fois pour toutes l'ami intime d'un écrivain, c'est que le meilleur est caché, peut-être un minuscule diamant comme un gramme d'uranium au centre d'une pile atomique, peut-être rien, mais que dans l'un comme dans l'autre cas l'ami n'en saura jamais rien et ne devra pas faire mine de chercher. Un exercice difficile. Quelque chose comme la foi, l'espérance, hélas aussi la charité...

Frédéric Puisant habitait ma Provence où il était mon voisin. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, timide et terne en son état normal, donnant toujours l'impression de s'ennuyer, las d'emblée d'avoir à s'exprimer autrement qu'avec une plume et du papier, un acte qui lui coûtait beaucoup mais moins, disait-il, que la parole et lui semblait un peu moins vain.