«La frontière courait sur quelque quatre cent soixante-dix lieues face à l'est et au nord-est. Elle franchissait d'interminables forêts, noires et argent durant le long hiver, des plaines spongieuses semées de lacs dont l'eau avait la couleur du plomb, des marécages qui disparaissaient sous des océans de roseaux et des rivières roulant leurs flots boueux vers des destinations incertaines...»

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Albin Michel, mars 2003

 

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EN QUÊTE DES ROYAUMES DE BORÉE...

 

Les Armes de la Carélie

LA FRONTIÈRE...

La frontière courait sur quelque quatre cent soixante-dix lieues face à l'est et au nord-est. Elle franchissait d'interminables forêts, noires et argent durant le long hiver, des plaines spongieuses semées de lacs dont l'eau avait la couleur du plomb, des marécages qui disparaissaient sous des océans de roseaux et des rivières roulant leurs flots boueux vers des destinations incertaines

Elle escaladait des collines au relief tourmenté qu'un ciel bas faisait apparaître comme autant de montagnes infranchissables dont les sommets se confondaient avec l'épais plafond des nuages. Face au nord, elle se perdait dans l'infini d'une taïga au-delà de laquelle s'étendait une mer glauque hérissée de rochers battus par des vents furieux, mais nul voyageur, nul marin, hormis le commodore Liechtenberg en 1631, ne s'était avancé jusqu'à ces rivages.

La frontière, au demeurant, ne portait pas encore ce nom. Aucun pays ne la revendiquait, sinon, de façon toute symbolique, le lointain grand-duché de Valduzia, aux confins septentrionaux de l’Europe, mais ses princes souverains ne s’étaient jamais souciés d’y envoyer qui que ce soit pour en prendre possession. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Ils avaient déjà fort à faire avec leur province de l’Est, à peine en voie de peuplement, et sa récente capitale, Ragen, encore à l’état d’ébauche. Au-delà se percevait le vide, et au-delà de ce vide, à une distance hypothétique évaluée en jours de marche, avec une marge de cinquante à cent impossible à préciser, la frontière, appelée plutôt bordures, ou lisières, marquait les approches d’une immense contrée inhabitée, baptisée Borée par des géographes inspirés.
 

Le Fort Fréchenbach d'Oktavius de Pikkendorff?

(Le château de Viipuri, en Carélie, fondé en 1293)

La Carélie...

La partie de région de la Carélie se trouvant de l'autre côté de la frontière orientale de la Finlande - Carélie de Russie, Carélie blanche et Aunus - peuplée de longue date par les Caréliens, était appelée en Finlande Carélie orientale. 

C'est dans cette région qu'avait été collectée la majeure partie des chants du Kalevala, l'épopée nationale, et le nationalisme finlandais prenant vigueur à la fin du XIXe siècle, le concept de Grande Finlande visait le rattachement de la région à la Finlande. La population de cette région, qui parlait une langue parente du finnois, fut aussi contaminée par la pensée, mais la force de stabilité de l'administration traditionnelle demeura dominante.

La Carélie dans LES ROYAUMES DE BORÉE

« La région qu’ils parcouraient, à l’est du grand lac Onega, était presque inhabitée, aux confins des provinces russes touchant à la mer de Barentz, et de la Carélie orientale.

Quelques hameaux misérables, aux toits circulaires recouverts de roseaux, se devinaient de loin en loin, confondus avec le paysage.

 Dissimulés dans des replis de terrain, c’est la peur qui semblait leur avoir inspiré cette façon de se cacher, de s’entourer de marais et d’étangs à la trame presque impénétrable, et c’était aussi la peur qui devait inspirer aux habitants de n’allumer leurs feux qu’à la nuit sous peine de trahir leur présence.

On n’apercevait aucune fumée. Un pays qui paraissait mort, n’eût été quelques silhouettes grises qui pêchaient sur les étangs gelés, penchées sur un trou percé dans la glace, et qui prenaient leurs jambes à leur cou en apercevant la colonne cheminant par la levée de terre.»

La Carélie dans la tourmente...

Au début de 1918, les adeptes de la fraternité ethnique entreprirent d'organiser des expéditions destinées à convaincre les habitants de la Carélie orientale de se rallier à la Finlande. Le Sénat et le commandant en chef soutinrent le projet, Mannerheim allant jusqu'à émettre en février la promesse qu'il ne remettrait pas son épée au fourreau tant que la Carélie blanche et l'Aunus ne seraient pas libérés des soldats de Lénine («Ordre du jour de l'épée au fourreau»). L'Allemagne et la Russie ayant fait la paix à Brest le 3 mars 1918, la politique du gouvernement finlandais se fit plus prudente sur la question.

En avril-mai 1918 se prépara au Grand Quartier Général de Mannerheim une opération dans l'Aunus, à la fois en soutien à la pensée de la fraternité ethnique et pour aider les Blancs russes à prendre Saint-Pétersbourg. Le Sénat empêcha cependant la réalisation du projet, en contrepartie duquel Mannerheim croyait que les Blancs de Russie céderaient la Carélie orientale à la Finlande («question de Saint-Pétersbourg»).

Le mouvement visant à l'annexion de la Carélie orientale s'intensifia en Finlande lors de la période des expéditions militaires dites fraternelles de 1918 à 1922 puis sous le règne de la Société Académique de Carélie (AKS) fondée par des étudiants et d'autres organisations de fraternité ethnique. Mannerheim renonça à soutenir publiquement ces projets et ceux-ci restèrent dans les années 1930 dans l'ombre des autres projets.

Lorsque la guerre d'hiver éclata en novembre 1939, les habitants abandonnèrent rapidement l'isthme de Carélie devenu théâtre des opérations. L'hiver suivant, les parties signèrent une suspension des hostilités qu'on a appelé depuis l'armistice. Au printemps de 1941, l'Allemagne attaquait l'Union soviétique. La Finlande se rallia à l'Allemagne et l'armée commençait à reconquérir les territoires perdus. Au cours de ce qu'on appelle la guerre de continuation (1941 - 44) sur les plus de 400 000 personnes qui avaient quitté la Carélie, 300 000 revinrent chez elles. La reconstruction fut rapide, on y travaillait jour et nuit. En 1943, tous les champs de Carélie étaient de nouveau cultivés. Puis, la chance tourna et l'URSS dicta les conditions de paix à la Finlande. Cela voulait dire que la Carélie était perdue une seconde fois.

Lorsque l'occupation finlandaise prit fin, en juin 1944, seuls quelques milliers de Caréliens de l'Est suivirent les Finlandais en Finlande. Les autres restèrent sur place et, victimes de la suspicion de l'URSS, tombèrent dans une situation difficile. Des témoignages furent énergiquement collectés dans la région contre les occupants finlandais, mais très rares furent les cas qui conduisirent à des accusations pour crimes de guerre. Ces occupants se sortirent de l'affaire de façon plus honorable que ceux de nombreuses autres régions d'Europe et d'Asie.

La Seconde Guerre Mondiale dans Les Royaumes de Borée...

«Tout en s’inscrivant dans le conflit mondial, cette guerre fut une guerre à part, une sorte de guerre nationale privée. Les Valduziens, comme les Finlandais, ne ressentaient pas plus d’attirance pour l’ordre brun que pour l’ordre rouge. Leur sympathie allait aux Alliés et pourtant ils se retrouvèrent dans le camp des Allemands. Leur choix ne fut pas idéologique. Il leur fut imposé par les faits. L’Union soviétique les avait attaqués, il ne leur restait qu’à se défendre et à vendre chèrement leur peau.

Cette guerre marginale se déroula en deux temps. La première, dite Guerre d’Hiver, ils la menèrent seuls, héroïquement, dans leurs forêts enneigées, soulevant l’admiration des Français et des Anglais qui, voyant venir d’autres orages bornèrent à des mots leur soutien. En dépit d’une disproportion de forces écrasante, ils tinrent quatre mois face aux Soviétiques, si bien que Staline se lassa et accepta l’armistice demandé par les Valduziens, lesquels durent en payer le prix : la cession de leur province de Carélie, de leur unique port sur le golfe de Botnie et de leur accès à la mer de Barentz. Les combats cessèrent le 11 mars 1940. Ils reprirent le 25 juin 1941. Cette fois ils n’étaient plus seuls. Ils s’étaient joints aux Allemands qui avaient envahi la Russie trois jours plus tôt. Ils avaient cependant hésité, mais comme Moscou réclamait de nouveaux gages et multipliait les provocations, bombardant les villages de la frontière, mitraillant les gares et les trains, ils ne purent différer leur choix l’ennemi, le vrai, l’héréditaire, c’était le Russe ! Après un ultimatum au demeurant assez délirant exigeant du gouvernement soviétique la restitution immédiate des territoires perdus, l’armée valduzienne engagea l’offensive. Cette seconde guerre porte le nom de Guerre de Continuation. Cantonnée comme une affaire mineure aux confins septentrionaux de l'Europe, elle suivit le mouvement de balancier de la guerre germano-soviétique d’abord une série de victoires qui mena Valduziens, Finlandais et Allemands aux portes de Leningrad, ensuite, de défaite en défaite, la retraite, l’exode, la détresse, l’horreur, civils et militaires mélangés. La Finlande déposa les armes le 19 septembre 1944. Plus engagée aux côtés des Allemands, Valduzia poursuivit la lutte dans les forêts de la Borée jusqu’au 13 avril 1945.»
 

Chez un
Pikkendorff de Borée?

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