«L'aventure commence aujourd'hui même.
Nous devons la vaincre, la dominer,
et justifier la confiance que nous avons toujours témoignée.»

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Albin Michel, novembre 2005

 

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Clin d'oeil

 

PRÉSENTATION DE L'ÉDITEUR

  1949. Jean Raspail a vingt-trois ans et un rêve :  descendre en canot du Saint Laurent à la Nouvelle Orléans sur les traces des premiers explorateurs français. Sept mois durant, avec trois compagnons, il va affronter intempéries, accidents et naufrages, tenant chaque soir son journal de bord. Miraculeusement retrouvées, ces notes sont aujourd'hui l'occasion pour lui de revivre ce singulier voyage et de nous faire partager un extraordinaire récit où l'on croise Champlain, Le Moyne d'Iberville, le père Marquette, Cavelier de la Salle, mais aussi les officiers du Roi, les garnisons des forts...

«Notre monde à nous, c'était le chemin d'eau. Un grand silence nous entourait. Nos canots se frayaient leur route à travers un no man's land de deux cents années, soit le temps qui nous séparait des découvreurs et des pionniers de l'ancienne Amérique française.» (Jean Raspail)

LE DÉBUT

 


             On les appelait voyageur, ou engagés du grand portage.
          
Par les fleuves, les lacs, les rivières qui formaient une trame naturelle dans l'immensité nord-américaine, aux XVIIe et XVIIIe siècles, convoyant à bord de leurs canots des explorateurs et des missionnaires, des marchands ou des officiers du roi, des soldats en tricorne gris des compagnies franches de la Marine, des pelleteries, des armes, des outils, renouvelant jour après jour, les mains crochées sur l'aviron, des exploits exténuants, ils donnèrent à la France un empire qui aurait pu la contenir sept fois. A chacun de leurs voyages, ils en repoussaient encore les frontières, vers le nord-ouest, vers l'ouest, vers le sud.
           De Québec, de Trois-Rivières, de Montréal - qui se nomma d'abord Ville-Marie -, ils embarquaient dès la fonte des glaces, au printemps. On ne les revoyait qu'aux portes de l'hiver. Beaucoup ne revenaient jamais. A l'assaut des premiers rapides, ceux de Lachine, sur le Saint-Laurent, tout juste passé Montréal, à la sortie du lac Saint-Louis, les équipages chantaient :

Ah ! c'est un mariage
Que d'épouser le voyage.
Jamais plus je n'irai
Dans ces pays damnés.
Grand Dieu quez c'est donc de valeur
Que d'être voyageur...

      Ils pagayaient - ou plutôt : ils avironnaient, c'est ainsi qu'on dit au Québec et que je dirai désormais, var il y a tout un langage du voyage, de même qu'un canoë est un canot, qu'on prononce canote, à la bretonne - ils avironnaient quinze heures par jour, dormaient cinq heures, martyrisés par les maringouins, les mouches noires, les brûlots, exposés aux attaques des Iroquois et des Algonquins, portageant canots et marchandises à dos d'homme pour remonter les grands rapides, y laissant des lambeaux de chair et des chapelets de noyés, à la descente, canots brisés sur les rochers...

A genoux dans mon canot d'écorce,
Je vogue à la merci des temps,
Je brave toutes les tempêtes
Dans les grandes eaux du Saint-Laurent,
Et plus tard, dans les rapides,
Je prendrai la Vierge pour bon guide...

    J'ai chanté cela, moi aussi, mangeur de lard puis vieux canotier, pour rythmer dans l'effort les coups d'aviron, réveiller mes muscles fourbus, mon corps trempé, et quelquefois pour chasser la trouille. Du 25 mai au 10 décembre de l'année 1949, pendant deux cents jours, j'ai avironné 2 837 miles, soit 4 565 kilomètres, de Trois-Rivières à La Nouvelle Orléans par les grands chemins d'eau du roi...

JEAN RASPAIL

 

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- RETOUR AUX SOURCES -

 


             Depuis Adiós, Tierra del Fuego Jean Raspail ne cesse, non pas de retourner dans le passé - ce qui est une constante de son oeuvre -, mais dans son propre passé.

         «A l’abri dans ma voiture, je me plonge dans mon journal de bord, celui d’il y a quarante-huit ans (équipe Marquette, expédition automobile Terre de Feu-Alaska) », écrivait-il au tout début d'Adiós...

         En canot sur les chemins d'eau du roi, après un préambule à caractère historique, commence presque de la même façon...

        «Deux textes rescapés de l'oubli sont à l'origine du récit que j'entreprends aujourd'hui avec cinquante-cinq ans, six mois et treize jours de retard sur cette longue aventure qui décida de mon existence. Le premier est un miraculé. Il s'agit de mon journal de bord rédigé chaque soir au bivouac.»

        De l'aventure, il ne subsistait jusque-là qu'un récit, devenu introuvable, publié en 1954 par l'un des quatre amis, Philippe Andrieu, aux Éditions Julliard, collection La Croix du Sud dirigée par Paul-Émile Victor. Jean Raspail en reprend bien évidemment la trame... à sa façon. La comparaison des deux textes est du reste on ne peut plus instructive. Là où le récit de Philippe Andrieu, avec ses qualités et ses défauts, faisait essentiellement la part belle aux péripéties pour ainsi dire sportives du prodigieux périple de 4565 kms, depuis Trois-Rivières au Canada, jusqu'à la Nouvelle-Orléans, sur deux petits canots, en 1949, Jean Raspail développe, parallèlement à la traversée de l'espace, une traversée du temps, évoquant l'Amérique Française des Frontenac, La Salle, La Vérendrye, Le Moyne D'Iberville..., et du Père Marquette, bien entendu, sous le patronage duquel s'étaient placés les quatre aventuriers (Jean Raspail, Philippe Andrieu, Yves Korbendau et Jacques Boucharlat) ; une Amérique Française dont il semblerait que le souvenir et les héros se soient effacés aujourd'hui, dans la mémoire française - et davantage encore, dans la mémoire américaine !

        «Nous représentions une sorte de préhistoire, ce qui fut et qui n'est plus : l'Amérique française. Nous étions quelque chose comme des explorateurs posthumes, des découvreurs d'un monde disparu venu l'espace d'un court moment réveiller de très anciens souvenirs et aussitôt les emportant avec eux dans le sillage de leurs canots.» (p.49)

        En canot... a donc cette première vertu de nous rafraîchir la mémoire, et de manière extrêmement vivante, voire fascinante... La dimension épique de la conquête (somme toute pacifique) de l'Amérique par les Français, au XVIIe siècle, est ici très présente, par le biais de scènes évoquées avec une vigueur et une puissance d'imagination fort peu communes. Ainsi, à qui Cataracoui dit encore quelque chose?...

«Nous sommes en 1673. L'éclosion du rêve. Le premier envol des lys de France. La frontière de la petite colonie laurentienne et atlantique projetée à cent lieues à l'intérieur des terres en plein pays indien, après le passage des Mille-Iles, au débouché du lac Ontario, une colline stratégique assortie d'un mouillage sûr, la clef du bassin des Grand Lacs : Cataracoui. C'est là qu'est prévu le grand parlement entre les chefs des Anciens des Cinq-Nations d'Iroquoisie, alliés des Anglais, ennemis des Français, et Frontenac. Voilà deux mois que Cavelier de La Salle la prépare...» (p.79)

Le spectacle sera grandiose.

«C'est tout un fabuleux théâtre qui s'avance, une France en majesté, dans ses habits de grandeur. Ainsi l'a voulu le génial auteur de la pièce qui va être jouée aux Indiens : le comte de Frontenac en personne.» (p.80)

Et les Indiens seront conquis, sans qu'une goutte de sang ne soit versée... Car a-t-on encore idée, aussi, des rapports que nous avions su établir, en ce temps-là, avec les Indiens? Par le biais de cette évocation de l'Amérique française, c'est aussi le portrait en filigrane des spécificités d'une âme française que dessine Jean Raspail, âme dont la nostalgie traverse toute son oeuvre.

        «[A Portage] Lorsque nous y sommes passés, c'était une jolie petite ville aux maisons construites en briques claires, à l'aspect net et élégant, aux rues plantées d'arbres, irradiant un charme particulier à propos duquel un vieux professeur retraité, qui était né à Portage, de parents nés à Portage, m'a tenu ces quelques mots surprenants qu'on n'imaginerait plus aujourd'hui dans la bouche d'un Américain : "Ce sens du beau, cette faculté de l'exprimer est comme un reste de ce qu'avaient introduit sur les chemins de portage les pionniers français du Nouveau-Monde, lesquels avaient des yeux pour voir et un coeur pour sentir."» (p.283)

         Mais les choses ne s'arrêtent pas là. Car le récit devient aussi l'occasion pour Jean Raspail, au fil des pages, d'une réflexion sur une expérience qui, comme lui-même l'écrit, décida de son existence, tandis que les quatre amis progressent lentement, étape après étape, vers leur but, au prix de mille efforts et de diverses aventures tantôt dramatiques, tantôt comiques. - Une expérience qui tient autant du défi d'ordre physique, qu'à une grande évasion en marge du temps qui passe...

        «Il nous semblait que la fuite du temps nous avait oubliés en amont du cours de l'histoire, tandis qu'en aval tout se précipitait, ce que nous savions déjà. Nous éprouvions la perception quasi physique, charnelle, matérielle, de vivre hier et non aujourd'hui. C'est une impression qui m'a poursuivi jusqu'au fort de Chartres, sur le Mississipi.» (p.55)

        Et l'on songe ici au voyage qui forme la trame d'un roman comme Septentrion, ou bien encore des Sept Cavaliers.... Comme si Jean Raspail avait voulu signifier, à travers l'évocation de ce lointain voyage «d'exploration» qu'il s'agissait non seulement du premier du genre, avant ceux qui le conduiraient de la Terre de feu jusqu'en Alaska, quelques années plus tard, puis aux Pays des Incas, en Israël, à Hong-Kong, au Japon, dans les Antilles, etc., mais aussi et surtout, d'un voyage qui avait nourri son imaginaire, déterminant par là même, en lui, un tour d'esprit dont allait naître son univers romanesque, la plupart des personnages qui le peuplent y apparaissant pour ainsi dire en marge de l'histoire-qui-se-fait, s'échappant dans un passé qui tient autant aux souvenirs qu'au légendaire. Un épisode de En Canot... - déjà décrit dans Pêcheur de Lunes -, est en ce sens on ne peut plus significatif. Il se situe sur une île - l'île de Sagonnik, sur le lac Huron -, dans une réserve indienne :

        « […] La rivière serpentait à travers de hautes herbes qui oscillaient sous le vent. Le silence régnait alentour. Puis à l’orée de la forêt, au fond d’une crique sablonneuse, nous avons découvert Sagonnik. Quelques huttes de rondins grossièrement assemblés composaient tout le village. Des toiles à sec servaient de porte. J’en soulevai une d’où s’éleva un épais nuage de poussière. Il n’y avait personne. Personne dans les autres huttes. L’un de mes compagnons émit l’hypothèse que peut-être les Indiens nous avaient aperçus et qu’ils se cachaient pour nous épier. A sa guise, s’il voulait jouer avec eux de cette façon… Nous attendîmes donc. Rien ne vint. Les Algonquins s’en étaient allés depuis des lunes. […] Un sentier s’enfonçait dans la forêt. Je priai mes compagnons de m’attendre. La trace en était si peu visible, que, par moment, j’hésitais sur la direction à prendre. Je restai là peut-être une heure, seul, à fouiller du regard le sous-bois et à appeler en silence. Je savais que je venais de découvrir une porte dérobée qui ouvrait sur certains chemins de la vie. »

*  *  *  *

    Très étonnant est également, dans le récit de Jean Raspail, l'accueil réservé la plupart du temps à "l'équipe Marquette" par les autorités américaines, tandis que les quatre amis font halte dans telle ou telle ville. A Quincy, par exemple, où, parmi d'autres, le maire reçoit les aventuriers français en arborant une somptueuse coiffure de chef à bandeau tissé de perles et plumes multicolores... bien qu'il ne soit pas Indien.

 «Ce qui a suivi est un grand et beau souvenir. La mascarade avait un sens. Ce n'était pas une mascarade. Elle n'était pas considérée comme telle. Le sachem-maire a déplié un papier. Il s'est approché du micro. Je me suis dit : "Voilà le discours." Ce n'était pas un discours. Le maire avait une belle voix grave qui a couru sur tout le port, amplifiée par les haut parleurs : Hiawatha, le chef indien, le prophète, le maître / Sur la porte de son wigwam / Un plaisant matin de printemps / Hiawatha debout attendait... En anglais. Un sublime anglais.... Longfellow, le plus grand poète américain, car c'était cela que le maire lisait...» (p.313)

Écrit dans une langue superbe, à la fois précise et très évocatrice, En canot sur les chemins d'eau du roi, bien davantage qu'un récit de voyage est une épopée dans le temps et hors du temps, qui sait rendre vivants aussi bien les paysages traversés que l'histoire qui s'y est faite, oubliée désormais, ayant laissé fort peu de traces tangibles dans le présent, mais dont, par la seule force de l'imagination, la présence nous est subitement rendue, le temps de la lecture. Et bien après, aussi. Car Jean Raspail a ce talent singulier de savoir créer des images qui, longtemps, hantent notre propre imaginaire, comme s'il s'agissait - presque - de souvenirs que nous eussions conservés, à la lisière de l'oubli, souvenirs d'une autre vie, d'un autre monde...

  Tandis que dans Qui se souvient des Hommes..., La Hache des steppes ou Pêcheur de Lunes, Jean Raspail partait en quête des dernières traces de peuples disparus, tout se passe, depuis Adiós, Tierra del Fuego, comme si c'était en quête de ses propres traces qu'était parti Jean Raspail, s'érigeant ainsi en ultime témoin d'un monde qui a chaviré.
  - Ou comme s'il avait fait sienne la devise des Pikkendorff :

« Je suis mes propres pas ».

Philippe Hemsen

 

 

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